Depuis que les hommes se sont sédentarisés en Dordogne, leur préoccupation constante a été bien sûr de se protéger contre les animaux sauvages (il y avait encore des loups en 1888 à Liorac !) mais aussi de défendre leurs cultures contre des espèces nuisibles, rongeurs, oiseaux ou insectes.
Longtemps, ils n'ont eu que leur fusil, mais pendant la guerre de 14-18, les hommes étaient absents, il n'y avait plus de chasseurs et les femmes peinaient à cultiver les champs toutes seules pour assurer la survie de leurs enfants. Il fallait donc se défendre contre les espèces qui proliféraient et qui détruisaient en partie leur labeur. C'était le cas des
pies, corbeaux, corneilles et geais. Ces oiseaux déterraient et mangeaient les graines dès qu'elles étaient semées dans les champs.
Des solutions plus "radicales" furent alors prises.
Antoine Merigonde, lieutenant de louveterie à Souillac (Lot), s'attaqua au problème et "inventa" un produit qu'il proposa systématiquement aux Conseils Généraux des différents départements qui, pour la plupart votèrent des subventions pour aider les communes à acheter ce produit destiné à éliminer ces oiseaux :
le PICA CORVICIDE,
des graines empoisonnées à la STRYCHNINE !
La strychnine (extraite à partir de la noix vomique, graine d'un arbre indien nommé Strychnos nux vomica) est un poison mortel comme l'arsenic ou le cyanure : ces trois poisons ont été régulièrement employés par des criminels qui ont fait la une des journaux et apparaissent souvent dans les romans policiers d'Agatha Christie !
Et pourtant, les dégats causés aux récoltes et notamment aux semis par les corbeaux, pies et geais étaient tels que malgré la dangerosité de ce produit, le Ministre de l'Agriculture recommanda l'emploi du Pica Corvicide et les Conseils Généraux furent quasi unanimes à en préconiser l'utilisation.
Le Conseil Général de la Mayenne fut l'un des rares à refuser d'employer le Pica Corvicide, disant que " la Strychnine, poison très actif, était dangereux non seulement pour les pies et corbeaux mais pour le gibier en général".
De même en 1917, le Préfet de Vendée exprima ses craintes en faisant un bon mot : "il est à craindre qu'à l'usage ce produit ne se révèle comme un Pica Gallinicide!"
Et en 1918, le Conseil Général de la Côte d'Or, estima ne pas devoir voter un crédit pour l'achat de graines empoisonnées, "étant donnés les dangers que présente l'emploi de la strychnine pour les personnes et les animaux domestiques".
Mais le Conseil Général de Dordogne suivit les consignes du Ministre de l'Agriculture et vota une subvention pour aider les communes de Dordogne à acheter ce produit.
Et le Pica Corvicide arriva à Liorac :
Le 27 mai 1917, le Préfet de la Dordogne annonça au maire de Liorac la subvention votée par le Conseil Général.
Le 8 juillet 1917, le Conseil Municipal de Liorac vota une subvention de 5F pour l'achat d'une boite de Pica Corvicide
et le 6 août le Directeur des Services Agricoles de la Dordogne écrivit au maire de Liorac pour l'inviter à envoyer, pour le paiement d'une boite, cette somme de 5F par mandat poste à Mr MERIGONDE à Souillac qui ferait parvenir deux boites de ce produit, l'une étant payée par le crédit voté par le Conseil Général.
Je ne sais si ce produit fut efficace pour la protection des cultures contre les pies, geais et corbeaux, mais il n'apparait plus dans les délibérations du Conseil Municipal de Liorac après la fin de la guerre. L'expérience n'a sans doute pas été renouvelée...
L'utilisation de la Strychnine resta autorisée en France jusqu'à l'an 2000 comme produit phytosanitaire pour empoisonner les rongeurs et taupes. Bien que définitivement interdite en France et en Europe, le risque existe encore puisque la Strychnine est un produit stable et que des stocks subsistent certainement encore. La presse a d'ailleurs rapporté plusieurs cas d'intoxication (souvent mortels) d'animaux de compagnie ou même d'êtres humains !
Donc ATTENTION aux vieux paquets de Taupicide !
Mais les oiseaux n'étaient pas les seuls nuisibles.
Les sangliers causaient des dégats considérables aux cultures et il était indispensable de prendre des mesures en conséquence :
Ainsi même pendant la guerre, des battues furent organisées avec les rares hommes non mobilisés et avec les permissionnaires, de Liorac ou des villages proches :
le maire devait d'abord obtenir l'autorisation du préfet et transmettre la liste des chasseurs à la gendarmerie. Les battues s'effectuaient contre les renards, blaireaux et surtout les sangliers, avec défense expresse de chasser le gibier ordinaire. Le rendez vous était fixé autour de 6h du matin au bourg de Liorac : des battues eurent lieu le 19 mars 1916, le 26 mars, le 9 avril, le 14 avril, le 6 août et le 15 octobre 1916. Les résultats de ces battues n'apparaissent pas sur le registre du Conseil Municipal, mais ils devaient être insuffisants car d'autres battues furent organisées avec l'autorisation du préfet :
■ le 10 décembre 1916, les résultats de cette battue furent décevants puisque "plusieurs marcassins furent levés mais que la pluie empêcha les chiens de les suivre"
■ le 17 décembre 1916 : un sanglier de 60 kg fut abattu à la Croix de Rozan
■ le 24 décembre 1916 : plusieurs sangliers levés mais aucun abattu
■ le 31 décembre 1916 : aucun sanglier
■ le 7 janvier 1917 : aucun sanglier
■ le 14 janvier 1917 : plusieurs sangliers ont été vus, mais aucun n'a été tué. Une laie accompagnée de ses petits, a tué le petit chien d'un bûcheron.
■ le 21 janvier 1917 : résultat de la battue, néant.
■ le 28 janvier 1917 : résultat de la battue, néant.
La situation était préoccupante car bien peu de sangliers avaient été éliminés et une troisième série de battues fut alors autorisée par le préfet :
■ le 11 mars 1917 : la persévérance a payé puisque un sanglier de 50 kg a été tué entre la Croix de Rozan et Combefer, un vieux solitaire de 175 kg a été abattu à la Pinière de Serre, 5 petits marcassins de 3kg ont été tués aux Maillols et la laie blessée.
■ le 16 mars 1917 : tué ou pris 7 marcassins de 4-5 kg, plusieurs gros sangliers vus entre les Maillols et la Pinière de Serres.
■ le 25 mars 1917 : un sanglier de 75 kg tué et 4 marcassins pris.
■ le 9 avril 1917 : deux laies de 80 et 60 kg et 2 marcassins de 7-8 kg.
■ le 15 avril 1917: 4 marcassins de 4-5 kg et la laie blessée.
■ le 9 décembre 1917 : résultat de la battue, néant.
Bilan : 27 sangliers ont été abattus en 1917, c'était déjà mieux !
■ le 3 février 1918 : une laie de 45 kg a été abattue par Amédée TRETOIS, boulanger à Bergerac, au lieu du Lac blanc près de Genthial.
■ le 24 février 1918 : 2 marcassins de 4 kg abattus à Filolie, le Vignal, l'un par Paul ROUSSET et l'autre par Pierre GAUMARD.
■ le 25 mars 1918 : un marcassin de 5 kg abattu par Jean PROPY, un marcassin de 5 kg abattu par Paul ROUSSET et un sanglier de 50 kg abattu par Jean MAZIEUX.
■ Le 5 mai 1918 : résultat de la battue, néant.
■ le 26 mai 1918 : résultat de la battue, néant.
■ le 4 novembre 1918 : un mâle de 85 kg tué par Jean GUINOT à la Tour du Mas.
En 1919, la guerre était enfin terminée, mais malgré les battues, les sangliers pullulaient encore. Les autorités étendirent les périodes de chasse et le système de primes à l'abattage fut développé :
■ le 12 février 1919, Emile CHANTEAU de Mouleydier déclare avoir tué un mâle de 43 kg et une laie de 73 kg à Genthial et le 13 février à Filolie, une femelle de 84 kg.
■ le 6 avril 1919 : une laie de 75 kg prête à mettre bas ayant 7 petits , abattue par Elie MOUYNA et une autre laie, pleine de 3 petits abattue par Jean RENOU.
■ et le 14 avril 1919, Emile CHANTEAU a abattu un mâle de 45 kg à Genthial et le 18 avril un mâle de 113 kg au Sorbier.
■ le 29 avril 1919, Elie MOUYNA a tué une femelle pesant 40 kg à Combefer
■ et le 25 mai Léon MOUYNA a tué une femelle de 74 kg aux Bessades.
■ le 21 juin 1919, Georges GUINOT a détruit une femelle de 40 kg et deux marcassins de 7 kg à Combefer.
■ le 13 juillet 1919 Emile CHANTEAU de Mouleydier a détruit un marcassin femelle de 5 kg à la Pigne et le 8 août une femelle de 70 kg à la Croix de Rozan.
Des primes étaient allouées aux chasseurs qui avaient abattu un sanglier. La prime leur revenait intégralement s'ils avaient tué la bête en dehors d'une battue municipale et elle était partagée par moitié avec la commune de Liorac dans le cas contraire .
Voici par exemple les mandats reçus le 5 septembre 1919 :
1/2 prime à Jean RENOU , battue municipale du 6 avril .............25 F
1/2 prime à Elie MOUYNA, battue municipale du 6 avril .............25 F
1/2 prime commune de Liorac, battue municipale du 6 avril ......25 F
1/2 prime commune de Liorac, battue municipale du 6 avril ......25 F
1 prime à Elie MOUYNA, chasse du 27 avril .............................50 F
1 prime à Léon MOUYNA, chasse du 25 mai ............................50 F
Ces primes constituaient une aubaine pour les familles : par comparaison, le prix du pain était fixé à 90 centimes le kg en 1919.
Sources :
Délibérations des Conseils Généraux de différents départements disponibles sur Gallica.
Archives de la Mairie de Liorac :
Délibérations du Conseil Municipal et Arrêtés de la Mairie.