Liorac il y a 170 ans
l'enquête agricole de 1852

page mise en ligne le 8 mai 2021    
le contexte :
Après la Révolution française et l'instauration de la République, le XIXe siècle a connu de grands bouleversements politiques : l'empire avec Napoléon 1er, la restauration de la royauté avec Louis XVIII, le retour de Napoléon pendant les 100 jours, puis Louis XVIII réinstallé sur le trône jusqu'à sa mort, le roi Charles X qui lui succède, et la Révolution des Trois Glorieuses en Juillet 1830, enfin Louis Philippe roi des français et non plus roi de France (la souveraineté nationale remplaçant la souveraineté de droit). Puis Napoléon (neveu du 1er), président de la république et bientôt après un coup d'état, empereur des français sous le nom de Napoléon III.
Malgré toutes ces perturbations de régimes, des enquêtes statistiques sont régulièrement lancées : le but n'est plus comme sous l'ancien régime de connaitre les revenus des habitants pour les imposer, mais en ce XIXe siècle de gérer la richesse du pays, en faisant progresser l'agriculture et l'économie du pays. En parallèle des écoles d'agriculture, des fermes modèles sont installées. Ce document de l'enquête statistique de 1852 provient des archives de la mairie de Liorac et détaille essentiellement l'agriculture , comme dans le cas de l'enquête de Cyprien BRARD 17 ans plus tôt (voir ICI)

Histoires de Liorac : les temps modernes
1811-1911 Les pavés de grès de la forêt de Liorac.
Les carriers de Liorac.
1824 De la fausse monnaie circule à Liorac.
1834 le maire mène l'enquête.
1835, les réponses du maire, F. Beneys, à l'enquête
de Cyprien Brard donnent une image détaillée de Liorac :

          L'agriculture en 1835
          L'industrie en 1835
          Hygiène et santé publique en 1835
          Antiquités et Curiosités en 1835
1848-1849 Troubles à Liorac lors de l'élection du premier président de la République au "suffrage universel".
1846-1936. : Evolution des métiers au bourg de Liorac.
1852, l'agriculture à Liorac (enquête statistique)
1836-1863 La formidable aventure de la route n°27
          le grand chambardement du bourg
          la naissance du haut Liorac
1876-1904 Construction de la maison d'école
1870-1871 : une guerre oubliée. Soldats de Liorac
1888 Une histoire de loup à Liorac.
1883 Les problèmes d'ordures à Liorac ne datent pas d'aujourd'hui !
1894 L'école de filles à Liorac devient école laïque.
1897-1965 Le bureau de poste de Liorac
1902 Le curé Tafforeau au moment des élections.
Vers 1905, c'était encore le temps des loups à Liorac.
1913 Les pilules roses pour personnes pâles.
1913-1969 L'adduction d'eau, un marathon de plus de 45 ans :
    Avant l'adduction d'eau, les puits.
    1913-1914, une première tentative
    D'une guerre à l'autre
    1958, l'eau arrive enfin dans le bourg !
    1959-1969,10 ans de plus pour alimenter tous les hameaux
1917 Haro sur les nuisibles.
1914-1918 : la guerre
1919-1965 L'autobus de Liorac.
Vers 1920, la laiterie des Bigayres
1922 Le Monument aux morts de Liorac.
1925 L'électrification du bourg.
La terrible année 1944 en Dordogne
1939-1945 Deux "Morts pour la France" à Liorac.
1940-1945 Maurice Sarazac, Compagnon de la Libération.
22 juin 1944 : les troupes allemandes à Liorac.
1813-1975 : Médaillés de la Légion d'honneur à Liorac
1950-1965 La tournée de Denise.
Dans les années 50, l'épicerie Carbonnel.
Dans les années 50, la boulangerie Chassagne.
Dans les années 50-60, la fête à Liorac.
1961 Le tour de France passe pour la première fois à Liorac.

 
EN 1852, LIORAC était bien différent du village que nous connaissons aujourd'hui.
Tout d'abord, les habitants étaient considérablement plus nombreux : 705 sont recensés en 1851, tous français, à l'exception de 6 espagnols, tous catholiques, il ne reste plus que 6 protestants. 131 personnes vivaient au bourg et le reste de la population (574) était dispersé dans les différents hameaux de Liorac.
Une majorité écrasante de paysans, des propriétaires-exploitants (55) et surtout des métayers(207), des journaliers (53) et des domestiques attachés à une exploitation (24). Certains pratiquaient en complément un métier artisanal pour améliorer leurs maigres revenus : ainsi au bourg Etienne Guilhen était cultivateur et sabotier.
Il y avait encore quelques artisans : 1 cordonnier, 2 tailleurs, 3 charpentiers, 4 menuisiers, 1 charron, 1 forgeron, 3 taillandiers (forgeron spécialisés dans la confection des outils tranchants), 1 tisserand, 1 maçon, 2 sabotiers, 5 meuniers. Les femmes étaient marchandes, couturières ou "sans profession".
C'est le maire François BENEYS qui remplit le formulaire. Il avait déjà répondu à l'enquête de 1835, et avait donc l'habitude des questionnaires. Examinons les réponses fournies pour cette enquête de 1852 :

LE TERRITOIRE DE LA COMMUNE EN 1852
on remarque sur le schéma suivant que 45% du territoire de la commune étaient occupés par des terres labourables et que la forêt représentait une surface à peine moindre. Quelques vignes et prairies naturelles complétaient le territoire.
► les terres labourables

Elles étaient semées avec :
des céréales, du blé et du maïs :
■ 319 ha avec du froment et de l'épeautre : le maire indique que ces cultures sont attaquées par des maladies, la nielle ou le charbon du blé, et par des insectes comme le charançon et parfois la grêle détruit les récoltes.
■ 203 ha avec du maïs : il se pourrit par temps de pluie et est fortement attaqué par les pies et les geais (en 1917, une grande campagne contre ces oiseaux nuisibles fut engagée, préconisant l'emploi de poison à base de strychnine : le picca corvicide voir ICI
et là encore la grêle peut faire beaucoup de dégâts dans ces cultures de maïs.
■ un peu d'avoine (11ha)
■ pas de méteil (mélange de blé et seigle), pas de seigle ni de sarrazin et très peu d'orge.
des cultures diverses destinées à l'alimentation des habitants : des pommes de terre, des légumes secs (haricots, pois, fèves et lentilles). Chacun cultive dans son jardin les légumes pour la consommation de la famille.
On a abandonné la culture des betteraves qui avaient été introduites en 1835.
du chanvre : seulement 2ha sont cultivés en chenevière et on ne produit pas de lin. Liorac qui a été longtemps un village de tisserands a presque abandonné cette activité, il ne reste plus que la famille Roussel à la Pigne qui tisse encore la toile.
des prairies artificielles, 36 ha semés avec de la luzerne, du sainfoin, du trèfle... :
la révolution fourragère qui préconisait de remplacer les prairies naturelles par des prairies fertilisées semées avec des variétés de graines sélectionnées, assurant ainsi un accroissement de la production fourragère et par conséquent de la production animale, ne date que du début du siècle et n'a pas encore été appliquée à Liorac qui ne pratique que fort peu l'élevage.
l'élevage :

■ des animaux utiles pour les cultures ou les transports : des boeufs (192) , quelques ânes (11), des chevaux (40) et mulets(7).
■ seulement 8 vaches laitières : une vache produisait environ 728 litres de lait par an, vendu 20 centimes le litre. Cette petite production suffisait largement aux habitants de la commune. Il n'était donc pas utile d'augmenter le nombre de vaches laitières : le lait ne pouvait pas être conservé et il faudra attendre presqu'un siècle pour que du fromage soit produit à la laiterie des Bigayres (voir ICI),
■ les moutons, brebis et chèvres constituaient une part importante du cheptel de Liorac (environ 1300 têtes).
■ 250 porcs, élevés dans chaque foyer, étaient souvent la seule source de viande de la famille.
la vigne :

Les vignes n'occupent que 3% du territoire communal, sur les terrains bien exposés. La production est faible, uniquement du vin rouge, destiné à la consommation locale. A la question : quelle est l'occupation des ouvriers les jours fériés ? le maire répond malicieusement : "le vin et le jeu".

Cette enquête ne montre donc que peu de changement dans l'agriculture de Liorac depuis 1835. Seule petite différence : 13 ha sont maintenant laissés en jachère, alors qu'en 1835 "les terres ne se reposaient jamais, on les ensemençait toujours de quelque chose". Les traditions ancestrales sont bien ancrées et semblent toujours l'emporter sur l'innovation.
Le maire cite d'ailleurs les proverbes et dictons qui rythment depuis toujours les interventions agricoles :
La lune rousse qui à leur dire est la plus mauvaise.
S'il pleut le jour de la St Médard, il pleut toute l'année.
On ne peut semer le maïs le jour de la St Eutrope, car il nait difforme.
Le vent qui souffle le dimanche des Rameaux dure toute l'année.
les améliorations et progrès de l'agriculture sont encore loin...

► la forêt

Elle occupait à cette époque presque la moitié de la commune et ce malgré l'énorme quantité de bois que les forges de la région consommmaient (en particulier la forge de Monclard). Quels étaient les arbres ?
Il y avait très peu de hautes futaies de chênes, de très grands arbres âgés d'une centaine d'années que l'on trouvait chez un particulier qui ne les faisait pas couper (sans doute dans un des châteaux de Liorac). Quelques résineux et surtout des chênes et des taillis de châtaigners qui servaient au charbonnage et au bois de chauffe. De plus le bois de châtaignier permettait de fabriquer des feuillards (pour cercler les tonneaux) et des échalas (piquets de vigne).
L'écorce de chêne moulue (le tan) permettait de tanner les peaux.
Il n'y avait pas de terrains exclusivement plantés de noyers ou de vergers. Des arbres fruitiers et des noyers étaient dispersés dans les propriétés. On recueillait cependant 200 hectolitres de noix qui permettaient d'obtenir environ 1000 litres d'huile de noix.
Il n'y avait pas de mûriers : malgré l'incitation du Conseil Général, l'aventure de l'élevage des vers à soie n'avait pas tenté les habitants de Liorac.
La forêt était source :
► de nourriture pour les animaux (les glands servaient à nourrir les porcs) et pour les hommes : les châtaignes constituaient en effet pour beaucoup de familles la base de l'alimentation. Le maire indique une récolte de 5336 hectolitres de châtaignes, ce qui paraît considérable. Par comparaison, la même année seulement 3828 hecolitres de froment ont été récoltés. Ainsi il est amusant de remarquer que la plus grosse "production" agricole de la commune correspondait aux châtaignes qui ne demandaient pas d'autre effort que de les ramasser !
► d'activité : tous les métiers liés à l'exploitation du bois et du grès.
► l'exploitation du bois
les scieurs de long
Ce métier consistait à débiter avec une grande scie des troncs d'arbre dans leur longueur permettant ainsi de transformer un tronc en planches.: la scie de long était maniée par deux hommes comme le montre la carte postale ci-contre (carte libre de droit représentant des "scieurs de long du Forez vers 1900" ). Ces scieurs de long venaient parfois du Massif Central.
Trois scieurs de long sont recensés en 1851, tous les trois habitaient alors le bourg de Liorac :
○ Jean Baptiste COUPAT né dans le Puy de Dôme s'était installé à Liorac et avait épousé en 1838 Françoise CHASSAGNE, fille des aubergistes de Liorac, Pierre Chassagne et Anne Chanaud.
○ Pierre CHORT né à la Haute Queyrouse avait épousé en 1839 Marie CHADOURNE une fille des meuniers de Liorac, qui était couturière
○ Pierre COLY, né à Lanquais qui épousera en 1859 à Liorac Jeanne LABOUROUX (fille de Lambert Labouroux et Magdeleine Chort), aussi couturière.

les charpentiers et menuisiers
Au bourg Jean MARTY dit "tantarou" (marié avec Marguerite Doumenge) et Henri FAUGERE (marié avec Marie Teyssier) étaient charpentiers . Elie FILEYSSANT était plus spécialisé puisqu'il était charpentier de moulin. Plusieurs menuisiers exerçaient au bourg et souvent leurs enfants apprenaient le métier avec leur père : ainsi les POMEYRET (Henri marié à Marie Mensac) et les CHASSAGNE (Jean, marié à Marguerite Loubiat, Pierre marié à Marie Dussou et Jacques qui épousera Cécile FILEYSSANT) avaient un atelier au bourg.
► l'exploitation du grès
La forêt a toujours été utilisée pour le bois, mais pendant au moins un siècle, sans doute plus, les hommes de Liorac et des communes avoisinantes ont aussi exploité le sol de la forêt de Liorac en extrayant le grès et en taillant des pavés pour paver en particulier les rues de Bordeaux (voir ICI).
En 1852, huit carriers habitaient à proximité de la forêt :
à l'Escole : Etienne MENSAC marié à Marie Chadourne et Jean REVERSADE marié à Marie Lozeille
au bourg : Pierre ROUSSEL marié à Elisabeth Lambert
à la Martigne : Jean GOUJOU et deux de ses fils, Pierre et Jean, et Jean BORDIER marié à Jeanne Fallan.
à la Pigne : Pierre GAUVILLE marié à Marie Roussel.
On peut remarquer qu'à cette époque, il n'y avait pas d'exploitation du sable de Liorac.
 
En conclusion, cette enquête statistique en 1852 donne l'image d'un village figé dans ses traditions ancestrales, que le progrès des technologies nouvelles n'a pas encore effleuré.


SOURCES
○ Mairie de Liorac : enquête statistique de 1852.
○ Archives Départementales de la Dordogne : Recensement de 1851 et Registres d'Etat Civil de Liorac.

@ Marie-France Castang-Coutou - postmaster*liorac.info (remplacer l'étoile par @)