De quoi mourrait-on à Liorac en 1853 ?

page mise en ligne le 18 avril 2024      
Parfois les registres paroissiaux indiquent la cause d'un décès, en général dans le cas d'une mort accidentelle : ainsi le curé Guillaume POURQUERY inscrivit en 1691 la mort de Pierre CHASSAIGNE travailleur de terre "tombé d'un arbre chastanier, enterré dans le cimetière, 40 ans" et en 1704 celle de Pierre LIBERSSAT travailleur de terre, "tombé de dessus un chatainier, qui mourut peu après sans pouvoir parler, estant sans mouvement ny sentiment, enterré dans le cimetière, 43 ans".
Mais à part ces deux exemples et plus tard la transcription des actes de décès de soldats morts en campagne (guerre de Crimée, guerre de 1870, guerre de 14-18) la cause du décès n'est jamais inscrite dans un acte de décès. A une exception près !
En effet, le maire François BENEYS inscrivit les causes de décès sur les actes pendant toute l'année 1853 : cela ne représente que 17 décès, bien sûr trop peu pour faire des statistiques, mais cela donne une idée des causes de mortalité dans le milieu du XIXe siècle à Liorac.

François BENEYS était plongé dans le milieu médical : son père était officier de santé et son frère jumeau, Jean était médecin. Il avait épousé le 4 août 1830 à Liorac, Marie Armanda Etourneau Lavalette, la fille de l'ancien maire et habitait Genthial. Il fut maire de Liorac de 1835 à 1878.

Il était instruit et avait rempli avec beaucoup de précision l'enquête statistique de 1835 : dans la section consacrée à l'hygiène et la santé publique, il notait que les fièvres et les fluxions de poitrine étaient les maladies les plus répandues à Liorac comme dans toute la région et qu'il n'y avait ni médecin ni sage femme sur la commune. Veuf, il mourut le 25 octobre 1878, à 77 ans.

Sans en comprendre la raison, à partir du 1er janvier 1853, le maire indique la cause des décès et ce jusqu'au début 1854. Il doit alors prendre conscience que selon le Code Civil, la cause du décès ne doit pas apparaître sur les actes d'Etat Civil (comme l'indique Addenet) et barre ces informations sur les actes de 1854.

@ BNF, A. Addenet, voir références plus bas.

Histoires de Liorac : les temps modernes
1800-1940 Démographie et mortalité infantile à Liorac.
1811-1911 Les pavés de grès de la forêt de Liorac.
Les carriers de Liorac.
1824 De la fausse monnaie circule à Liorac.
1834 le maire mène l'enquête.
1835, les réponses du maire, F. Beneys, à l'enquête
de Cyprien Brard donnent une image détaillée de Liorac :

          L'agriculture en 1835
          L'industrie en 1835
          Hygiène et santé publique en 1835
          Antiquités et Curiosités en 1835
1848-1849 Troubles à Liorac lors de l'élection du premier président de la République au "suffrage universel".
1846-1936 : Evolution des métiers au bourg de Liorac.
1852, l'agriculture à Liorac (enquête statistique)
1853-1854 : de quoi mourrait-on à Liorac ?
1854-1856 : soldats de Liorac pendant la guerre de Crimée
1836-1863 La formidable aventure de la route n°27
          le grand chambardement du bourg
          la naissance du haut Liorac
1876-1904 Construction de la maison d'école
1870-1871 : une guerre oubliée. Soldats de Liorac
1888 Une histoire de loup à Liorac.
1883 Les problèmes d'ordures à Liorac ne datent pas d'aujourd'hui !
1894 L'école de filles à Liorac devient école laïque.
1897-1965 Le bureau de poste de Liorac
1902 Le curé Tafforeau au moment des élections.
Vers 1905, c'était encore le temps des loups à Liorac.
1913 Les pilules roses pour personnes pâles.
1913-1969 L'adduction d'eau, un marathon de plus de 45 ans :
    Avant l'adduction d'eau, les puits.
    1913-1914, une première tentative
    D'une guerre à l'autre
    1958, l'eau arrive enfin dans le bourg !
  1959-1969,10 ans de plus pour alimenter tous les     hameaux
1917 Haro sur les nuisibles.
1914-1918 : la guerre
1919-1965 L'autobus de Liorac.
Vers 1920, la laiterie des Bigayres
1922 Le Monument aux morts de Liorac.
1925 L'électrification du bourg.
La terrible année 1944 en Dordogne
1939-1945 Deux "Morts pour la France" à Liorac.
1940-1945 Maurice Sarazac, Compagnon de la Libération.
22 juin 1944 : les troupes allemandes à Liorac.
1813-1975 : Médaillés de la Légion d'honneur à Liorac
1950-1965 La tournée de Denise.
Dans les années 50, l'épicerie Carbonnel.
Dans les années 50, la boulangerie Chassagne.
Dans les années 50-60, la fête à Liorac.
1961 Le tour de France passe pour la première fois à Liorac.

Le tableau suivant indique les décès survenus à Liorac en 1853 et au début de l'année suivante.
A l'examen de cette liste , on est tout de suite frappés par la forte mortalité infantile, au moment de la naissance ou dans les quelques jours qui la suivent, mais aussi pendant les premières années de la vie, à moins de 5 ans. Les causes de ces morts prématurées des petits étaient des maladies infectieuses, comme la coqueluche (qui en absence de vaccination et d'antibiotiques était souvent mortelle), ou la dyssenterie ( liée à un défaut d'hygiène ou à une nourriture inadaptée après le sevrage des petits). On observe également une cause accidentelle : les fermes bâties sur les hauteurs comme la Tissanderie et donc dépourvues d'eau avaient souvent une mare pour abreuver les bêtes et c'était parfois un piège mortel pour les jeunes enfants.
Quant aux adultes, ils mouraient bien plus jeunes qu'à l'heure actuelle (50 ans était déjà un âge canonique ! ), soit d'une maladie pulmonaire ( fluxion de poitrine : pleurésie, pneumonie) soit de la dyssenterie. Dans les deux cas, les conditions de vie étaient responsables : pas de chauffage, grande promiscuité des individus dans la maison favorisant la contagion, défaut d'hygiène et eau contaminée. Il y avait aussi régulièrement des femmes mortes en couches (même s'il n'en apparait pas en 1853 ): l'absence de médecin et de sage-femme, remplacés par des matrones sans formation et sans notion d'hygiène expliquait cette forte mortalité.
Quant aux personnes très âgées pour l'époque, on trouve des causes classiques, fluxion de poitrine, hydropisie, apoplexie ou aucune cause notée, comme si l'âge était en soi suffisant, dans l'ordre des choses !
DATE Individu âge Cause du décès
26 janvier 1853 Elie DESPLAT, fils de Jean et Jeanne Gout, métayers à Carrieux 11 jours cause inconnue
19 février 1853 Pierre MARTY TANTAROU, tailleur, célibataire 40 ans phtisie pulmonaire
8 mars 1853 Jean CHASSAGNE, marchand de bois veuf, demeurant au chef lieu de la commune 38 ans gastro entérite
23 mars 1853 Marie GUILHEM demeurant à la Martigne, fille d' Etienne sabotier - et de marie LAVERGNE † 10 ans maladie de coeur
25 mars 1853 Jean REVERSADE, fils de Pierre tailleur et de Marguerite Angely couturière demeurant à l'Escole, 2 ans coqueluche
6 mai 1853 Jean DESPLAT, métayer à Carrieux 58 ans fluxion de poitrine
3 juin 1853 Pierre VALETON, fils de Pierre et de Marie CHASSAGNE,cultivaturs demeurant au village de la Gareille 1 an coqueluche
20 août 1853 Léonard FONMARTY, fils de Jean et Catherine Coste,métayers à la Tissanderie 3 ans mort accidentelle
par submersion
6 octobre 1853 Jean Chrisostome Alexandre AUDIGUIN, fils de Pierre instituteur et de Marie DIEUDÉ marchande épicière, demeurant au bourg 13 mois dyssenterie
18 octobre 1853 Anne BELORDRE, épouse de Guillaume LAMBERT 70 ans gastrite chronique
20 octobre 1853 Catherine LASSERRE, fille de Pierre métayer à la Bernarde et de Marguerite DESPLAT † 4 ans dyssenterie
17 novembre 1853 Bertrand CAMBEROU, métayer au Pignet, époux de Jeanne DELANE 74 ans maladie courte
mais inconnue
5 décembre 1853 Marguerite OLIVIER, marchande de mercerie, demeurant au bourg 72 ans hydropisie
6 décembre 1853 Pierre PARIER, cultivateur à la Gasquie 68 ans suites d'une paralysie
12 décembre 1853 Pierre DESPLAT, fils de Jean et de Marguerite ALARY, métayers 15 mois dyssenterie
22 décembre 1853 Pétronille BOS, métayère au Turmendy 63 ans suite de longues douleurs et d'infirmités
25 décembre 1853 Pierre GONTIER veuf, demeurant à la Gareille 64 ans attaque
d'apoplexie foufroyante
4 janvier 1854 Anne CHAVERON, veuve, demeurant au chef lieu de la commune 83 ans non indiqué
9 janvier 1854 Pierre ChAVERON demeurant à la Haute Queyrouse 59 ans attaque d'épilepsie (barré)
15 février 1854 Jeanne GAUTHIER, célibataire, demeurant au chef lieu de la commune 73 ans non indiqué
15 mars 1854 Etienne DUSSOU, Tailleur d'habits demeurant à l'Escole 46 ans phtisie pulmonaire (barré)
23 mars 1854 GOUIX, fils de jean et Marie BLEYZAC, cultivateurs à la basse Queyrouse enfant sans vie
LES SOINS EN MILIEU RURAL : que faire en cas de maladie ?
■ les pratiques dévotieuses : La guérison par la foi est souvent invoquée par un peuple qui ne peut se tourner vers une médecine compétente. Plus qu’à Dieu lui-même, on s’adresse à ses intercesseurs : le Christ, la Vierge et surtout les saints. Invoqués à date fixe lors de fêtes ou de pèlerinages, certains saints guérissent tous les maux. Pour cela, il faut prier le saint, lui faire brûler d'un cierge, se baigner dans sa fontaine et aussi appliquer sa statue sur les parties malades (le curé du lieu est alors présent, il récite quelques prières, reçoit quelques piécettes pendant que le pélerin frotte la statue sur les endroits douloureux). [Rocal]
■ appeler un médecin ou un officier de santé d'une autre commune, puisqu'il n'y en avait pas à Liorac. Il fallait pouvoir le contacter mais la visite et les remèdes inscrits sur l'ordonnance coûtaient cher ! Souvent le médecin était appelé trop tard après avoir utilisé des remèdes empiriques sans amélioration de l'état du malade.
■ faire appel à un guérisseur : le rebouteux remettait les os en place, les tireurs de feu soulageaient brûlure, eczéma et zona, et puis le sorcier leveur de sort, utilisait des remèdes magiques mêlés à des pratiques religieuses.
■ utiliser des plantes pour se soigner : les recettes étaient transmises de génération en génération, soit oralement, soit inscrites dans les livres de raison des familles instruites. Des tisanes, sirops, cataplasmes étaient ainsi préparés en utilisant des plantes cueillies sur place ou achetées à des herboristes ambulants : c'était bien sûr une connaissance empirique , mais basée sur des des siècles d’expérimentation, qui a favorisé la culture et l’utilisation de plantes aux vertus curatives.
L’intégralité de la plante (fleur, feuille, racine...) était potentiellement utile, fraîche ou le plus souvent séchée, seule ou en mélange avec d'autres espèces. L'utilisation des simples a longtemps été l'apanage des communautés religieuses qui cultivaient des plantes médicinales. Le responsable de la récolte des simples et de la préparation des remèdes pour la communauté religieuse s'appelait "apothicarius" ce qui donnera plus tard le nom d'apothicaire. Un jardin des simples a été reconstitué à Plazac à partir d'écrits du Moyen Âge (Capitulaire de Villis établi sous Charlemagne).
Le jardin médiéval de Plazac :

Près de l'église Saint Martin, au pied des remparts du château des Evêques de Périgueux, un jardin des simples regroupe dans différents massifs des herbes aromatiques (ciboule, estragon, thym, coriandre, basilic, persil...) ou médicinales organisées en fonction de leur usage. On trouve ainsi :

► LES PLANTES VULNÉRAIRES OU CICATRISANTES:

la consoude (Symphytum officinale ) assurait la cicatrisation mais était également utilisée en cas d'entorses, fractures ou douleurs articulaires.
 

l'achilée millefeuille pour stopper les saignements et cicatriser les plaies. Attention à ne pas confondre avec une plante très dangereuse, la cigüe !
 

le millepertuis (Hypericum perforatum) pour soigner les brûlures superficielles.
 

le plantain purificateur du sang, des poumons et de l'estomac.
 
l'aigremoine (Agrimonia eupatoria) cicatrisante et désinfectante, utilisée pour traiter les contusions et les petites plaies par son action hémostatique. L’aigremoine a également des propriétés anti-inflammatoire et antitussives : tonique des muqueuses de la bouche et de la gorge, cette plante est utile en gargarisme dans le cas de toux sèches, de maux de gorge ou de début d’angine mais également pour traiter les aphtes et les stomatites.
 

la mélisse (Melissa officinalis) connue pour ses propriétés anti-inflammatoires, antiseptiques et antiparasitaires.
 

la joubarbe Sempervivum reconnaissable à sa forme d'artichaut, efficace contre les brûlures, furoncles et cors, la joubarbe possède des propriétés cicatrisantes et apaisantes.
 

la bourrache (Borago officinalis) utilisée pour traiter les maladies de peau, mais aussi efficace sur les symptômes de la polyarthrite rhumatoïde, notamment sur la douleur, l’enflure et les raideurs des articulations .
 
► POUR LES MALADIES DES FEMMES :

censée arrêter les montées de lait, cette plante, comme la rue, était souvent utilisée comme abortif.
 
Toute ces plantes sont assez connues, mais celles présentes dans un autre massif sont plus inhabituelles :
► LES PLANTES "MAGIQUES": , des espèces extrêment toxiques, riches en alcaloides (scopolamine et atropine) des poisons potentiels à manipuler avec de grandes précautions.

la jusquiame noire (Hyoscyamus niger),
plante toxique, riche en scopolamine, hallucinogène, était utilisé comme sédatif.
Les symptômes de l'intoxication par surdosage sont les mêmes que celles du datura ou de la belladone.
 
le datura (Datura stramonium) ou "herbe du diable", riche en scopolamine, hallucinogène, était utilisé comme sédatif. C'est une plante qui se répand actuellement dans les champs de céréales : mélangée par inadvertance aux récoltes, elle est très dangereuse pour les hommes comme pour les animaux.
     photo ©Elvup
 

la belladone (Atropa belladonna) ou "cerise du diable" : l'atropine contenue dans la plante calmait douleurs , spasmes digestifs ou respiratoires et faisait baisser la fièvre
 

la mandragore(Mandragora officinarum), riche en atropine, hallucinogène, utilisée pour l'anesthésie. Sa racine a une forme vaguement humaine qui a été mise en scène dans la saga d'Harry Potter.
 
Cette liste de plantes utilisées autrefois pour soigner, ne constitue bien sûr en rien des conseils pour une automédication !!!
Au milieu du XIXe, époque de cette étude, les moyens de soigner n'étaient guère différents de ceux du Moyen Âge ! En effet, jusqu'à l'aube du XXe siècle, les Lioracois faisaient davantage appel à l'automédication, aux guérisseurs et à la religion qu'à la médecine et ils n'avaient d'ailleurs guère d'autre choix : déjà l'enquête de 1835 montrait le désert médical autour de Liorac, ICI : les médecins étaient loin à Bergerac ou Mouleydier, et le prix de la consultation était souvent prohibitif pour beaucoup de familles. La consultation médicale se répandra ensuite en 1893 grâce à la loi sur l'assistance médicale gratuite, assurant des soins gratuits aux personnes sans ressources et à l'efficacité grandissante de la médecine (vaccinations, antibiotiques...). Mais l'amulette ou le sachet d'herbes côtoiera toutefois encore longtemps le remède prescrit par un médecin et délivré par un pharmacien !
Et de nos jours ? Quelques remèdes traditionnels ont traversé le temps : une tisane de mauve adoucit la gorge, une infusion de camomille est utile pour laver les yeux, un cataplasme à base de farine de lin associée à des graines de moutarde permet d’apaiser les voies respiratoires en cas de bronchite, le jus de la chelidoine permet de se débarasser des verrues. Certaines des plantes citées sont utilisées à dose infinitésimale dans les granules d'homéopathie.

REFERENCES
■ Addenet, Auguste, les Actes de l'état civil considérés dans leurs motifs, leur caractère et leur forme, ou le commentaire des lois, décrets et ordonnances qui les régissent.(1869) ICI
■ Archives Départementales de la Dordogne en ligne ICI, site où l'on peut consulter les registres de Liorac.
■ Médecines traditionnelles et populaires en Périgord : hier et aujourd'hui Association pour l'essor du Périgord, Centre permanent d'initiation a l'environnement (Sireuil, Dordogne) , PLB ed. 1991.
■ Georges Rocal, Les coutumes du Périgord : Remèdes magiques. Bulletin de la Société d'histoire de la pharmacie, 10ᵉannée, n°33, 1922. pp. 12-15.
■ Georges Rocal, Vieilles coutumes dévotieuses et magiques du Périgord, Pierre Fanlac Ed., 1971.
■ Jacques E. Merceron, Sarcasmes, rancoeur et regards croisés sur la médecine en milieu rural. Paysans, guérisseurs et médecins au XIXe siècle. Histoire et Sociétés Rurales, n° 51, 1er semestre 2019, p. 69-123.

@ Marie-France Castang-Coutou - postmaster*liorac.info (remplacer l'étoile par @)