Le 10 décembre 1848 et surtout le 13 mai 1849 des troubles survinrent à Liorac à l'occasion des élections.
Le vote universel avait remué le pays de fond en comble et très vite de nouvelles doctrines pour reconstruire une société se répandirent dans l’esprit troublé du peuple. Il semble que ce fut le cas à Saint Félix de Villadeix et certains de ses habitants vinrent à Liorac perturber les élections, présidentielle du 10 décembre 1848 et législatives du 13 mai 1849.
Lors des élections du 10 décembre 1848, dans l'arrondissement de Bergerac, la garde nationale de St Félix éleva la prétention de concourir avec celle de la commune de Liorac à la garde de l'urne électorale de la 3ème section du canton de Lalinde, cette dernière étant le chef lieu.
Cette prétention paraissait prendre sa source dans un empressement louable. Si des citoyens l'élevaient, c'est qu'ils la croyaient fondée sur la loi et qu'ils pensaient exercer un droit ou accomplir un devoir. Les observations du président du bureau firent taire cette prétention : la garde nationale du chef lieu devait seule aux termes des instructions garder l'urne électorale. Ces observations ramenèrent le calme dans les esprits un peu exaltés et les élections eurent lieu sans tumulte et sans trouble.
L'affaire en resta là et la justice n'eut pas à intervenir.
A cette époque les campagnes avaient été encore préservées du retentissement de ces coupables doctrines qui plus tard répandues par les ennemis de la république et de l'ordre ont excité partout les plus mauvaises passions . On n'avait pas ncore prêché la haine contre les riches, le partage des biens et le mépris des lois, mais depuis la commune de St Félix avait été plus particulèrement le théatre de ces criminelles excitations. Il fallait à ceux qui s'étaient faits les propagateurs, une occasion pour le désordre. Ils la rencontrèrent au moment des élections dernières.
Quelques temps avant le 13 mai, les habitants de St Félix furent excités à renouveller, lorsqu'ils se présenteraient pour déposer leur vote, la demande de garder l'urne électorale.
A un refus , on devait répondre par le désordre. Au désordre on devait ajouter la violence.
Ces coupabes dispositions des esprits, se manifestant par des propos violents sont attestés par plusieurs témoins de l'information.
Le 13 mai 1849 arriva :
Des troubles beaucoup plus graves se produisirent ce jour là à Liorac et l'affaire fut rapidement portée devant les tribunaux. L'instruction fut faite devant le Tribunal de première instance de Bergerac. Puis la Cour d'Appel de Bordeaux, Chambre des mises en Accusation, renvoya l'affaire devant la Cour d'Assises du département de la Dordogne à Périgueux où un procès se déroula pendant l'année 1849.
Voyons l'acte d'accusation qui donne tous les détails sur les évènements.
acte d'accusation :
Le bureau constitué à Liorac, les élections commencèrent, nul trouble ne les interrompit d'abord.
Vers une heure, le curé de la commune de Cause de Clérans que les devoirs de son ministère appelaient dans sa paroisse obtint du Président l'autorisation de voter avant l'appel de son nom.
La commune de St Félix avait presque fini de voter, cette autorisation fut le prétexte que s'empressèrent de saisir les fauteurs de désordre.
18 hommes, cultivateurs et artisans, presque tous de Saint Félix furent accusés et comparurent en octobre 1849 devant la Cour d'Assises de Périgueux.
les accusés :
1. Jean MALLET 25 ans, boulanger, natif et domicilié à St Félix.
2. Pierre CHADOURNE 27 ans, cultivateur, natif et domicilié à St Félix.
3. Jean MONTEIL fils second, dit fargues, 22 ans, cultivateur, demeurant dite commune, natif de Mauzac.
4. Jacques JURESTAL 30 ans, cultivateur, natif de Lamonzie, demeurant à St Félix.
5. Jean MONTEIL père 55 ans, cultivateur, natif de Pezuls, demeurant à St Félix.
6. Léonard LAMBERT aîné 32 ans, forgeron, natif et domicilié à St Félix.
7. Louis LAFAYE 32 ans tisserand, natif et domicilié à St Félix.
8. Pierre CLAVEILLE 30 ans, cultivateur, natif et domicilié à St Marcel.
9. Joseph PEYTAUD 42 ans menuisier, natif de St Martin, demeurant à St Marcel.
10. Antoine GONTHIER Laborie 25 ans, cultivateur, natif de St Marcel, demeurant à Cause de Clérans.
11. Etienne LAFAYE dit Fageau du blanc, 25 ans,natif et domicilié à St Félix.
12. Jean GONTIER Marignan 56 ans, cultivateur, natif et domicilié à St Félix.
13. Pierre PREVOT dit Bardel, 45 ans, natif et domicilié à St Félix.
14. Pierre CHEVALIER dit fronton, 56 ans, tisserand, natif et domicilié à St Félix.
15. Pierre FONMARTY 40 ans, cultivateur, natif de Lamonzie, domicilié à St Félix.
16. Jean DELAGE dit Lafon, 21 ans, charpentier, natif et domicilié à St Martin des Combes.
17. Antoine MARCOU 39 ans, cultivateur, demeurant à St Félix.
18. Pierre TAUVAT aîné 50 ans, propriétaire, natif et domicilié à St Marcel.
comme prévenus tous les 18 d'avoir troublé et interrompu les élections de Liorac.
les évènements :
L'accusé Jean MALLET de St Félix, s'avança vers le bureau et s'adressant au Président d'un ton impérieux, il lui demanda, au nom de ses concitoyens, l'autorisation de se réunir aux gardes nationaux de Liorac pour être de faction pendant la nuit qui devait suivre (les élections se déroulaient sur deux jours, puisque toutes les communes du canton devaient venir voter à Liorac.)
Cette demande faite en des termes peu convenables fut repoussée par le Président, se fondant sur les instructions qu'il avait reçues de l'autorité supérieure et Jean MALLET se retira.
Sa sortie fut le signal du tumulte : des cris
à bas les riches ! il faut tout tuer ! Il n'y a plus de loi ! furent proférés par la foule.
On accusa le Président d'avoir fabriqué les instructions dont il venait de donner connaissance aux électeurs et un rassemblement considérable se présenta devant la porte de la salle.
Les accusés Pierre CHADOURNE et Jean MONTEIL fils dit fargues étaient à la tête : tous deux pénétrèrent violemment dans l'assemblée.
Une collision était à craindre. Les témoins LAVERGNE, ROUSSEL, LEYGUE et CHASSAIGNE, capitaine de la garde nationale, fermèrent sur l'ordre du bureau la porte vitrée de la rue, par laquelle le rassemblemnt était près de faire irruption dans la salle.
Aussitôt les vitres volent en éclat. L'accusé Jacques JURESTAL, armé d'un rayon de charrette, brisa les barreaux de la porte.CHADOURNE et MONTEIL fils aident de l'intérieur ceux qui viennent de la rue, et la porte, un moment fermée, s'ouvre devant la foule qui se précipite, en poussant des cris :
il faut tout tuer, à bas les blancs, vivent les rouges !
Les tables sont renversées : l'urne roule avec les papiers épars sur le bureau- Les luttes s'engagent- le sieur CHASSAIGNE déclare avoir été blessé à la main d'un coup de couteau.
Le sieur LOUBIAT est renversé d'un coup de poing que lui assène Jean MONTEIL fils. Il reçoit de CHADOURNE des coups de pied, CHASSAIGNE est de nouveau frappé aussi.
On accuse le Président d'avoir changé les bulletins dans l'urne et pendant plus d'une heure que dure cette scène de désordre, les opérations électorales demeurent interrompues.
L'acte d'accusation se poursuit en ces termes :
Les opérations électorales furent enfin reprises . Mais alors Léonard LAMBERT, l'un des accusés, s'avance vers le bureau d'un ton menaçant déclare qu'il veut présider l'assemblée.
et exige du Président la clef de la boite contenant les bulletins de vote,
lui déclare qu'il n'y a dans l'assemblée d'autre maître que lui et joignant l'effet (sic) à la parole, il invite l'accusé Louis LAFAYE à prendre place au bureau comme scrutateur.
Cette exigence satisfaite, Léonard LAMBERT en manifeste bientôt une autre : il avait introduit dans l'assemblée un étranger de passage à Liorac, non inscrit sur la liste électorale et il veut contraindre le bureau à recevoir son vote. Les observations du Président ne peuvent vaincre sa détermination obstinée. Il ne cède enfin qu'après avoir pris l'avis de Louis LAFAYE auquel, par défiance injurieuse pour le Président , il commande de lire la loi dont celui-ci lui oppose les dispositions.
Tels furent les principaux détails de la scène tumultueuse et désordonnée qui le 13 mai dernier porta le trouble au chef lieu de la commune de Liorac, et interrompit le cours des opérations électorales.
Tous les accusés prirent une part plus ou moins active mais toujours coupable, aux actes de cette criminelle interruption.
Plusieurs d'entre eux se firent remarquer par la violence de leurs actes et de leurs cris, et se trouvent ainsi désignés soit à une plus grande sévérité de la part de leurs juges, soit à une inculpation spéciale pour divers délits dont ils se sont rendus coupables en dehors de l'incrimination générale à laquelle ils sont soumis :
Ainsi Jean MALLET, Pierre CLAVEILLE, Louis LAFAYE sont indiqués à chaque pas de l'information comme les principaux investigateurs des violences dont le bourg de Liorac a été le théatre.
C'est Jean MALLET ainsi qu'on l'a vu, qui le premier porte la parole au nom des habitants de St Félix, ce qui sur le refus du Président de les admettre à la garde de l'urne, sort en disant
on verra du joli avant peu... le peuple le veut !
C'est Louis LAFAYE qui à la lecture des instructions opposées par le maire, disait devant la foule assemblée
ces instructions ne peuvent rien contre la volonté du peuple.
C'est CLAVEILLE, qui dans le délire de son exaltation qu'il cherchait à communiquer à ses concitoyens , s'écriait
il n 'y a plus de lois !
Pierre CHADOURNE et Jean MONTEIL fils dit Fargues ont joué un rôle important dans la violence employée pour faire irruption dans l'assemblée. Ce furent eux qui frappèrent les témoins LOUBIAT et CHASSAIGNE.
Les accusés Antoine CHEVALIER dit fronton, PEYTAUT, MONTEIL père, FONMARTY, Antoine GONTHIER Laborie, Jean GONTHIER dit marignan, Jacques JURESTAL, LAFON et MARCOU se signalaient par la violence avec laquelle ils attaquaient la porte de la salle défendue par des factionnaires impuissants et brisant les carreaux de vitre. Jacques JURESTAL et Jean MONTEIL père armés tous les deux d'un rayon de charrette, en frappaient la porte à coups redoublés.
Parmi ceux dont les cris homicides poussaient au désordre et qui auraient pu l'ensanglanter une fois la salle envahie, se fesaient remarquer , Joseph PEYTAUD vociférant ces paroles
le moment est venu de tout égorger Antoine GONTHIER dit Laborie, Etienne LAFAGE dit Fajou et Jean GONTHIER dit Marignan disant
il faut tout tuer , le moment est venu, nous sommes les plus forts ! , il faut égorger tous les riches , ce gueux de Chassaigne , il faut le tuer !
Enfin Léonard LAMBERT, le désordre matériel un instant calmé, non seulement outrageait le Président qu'il accusait d'avoir soustrait des bulletins, mais déclarait qu'il n'y avait pas d'autre maître que lui dans l'assemblée et créant de sa propre autorité un scrutateur, faisait monter au bureau Louis LAFAYE qui se prêtait à cette criminelle usurpation.
Des actes d'une gravité si considérable, qui auraient pu faire couler le sang dans le bourg de Liorac sans l'intelligente et prudente fermeté que déploya le maire de cette commune (il s'agisssait alors de François BENEYS) attestant le mal profond produit dans les campagnes par la prédication publique des principes les plus subversifs de tout ordre social et devant exciter au plus haut degré la vigilante attention de l'autorité judiciaire.
La justice n'a pas du hésiter à poursuivre les auteurs d'une aussi scandaleuse violation des lois et à en soumettre la répression au jury du département dans lequel ce funeste exemple a été donné.
En conséquence Antoine GONTIER dit Laborie, Jean GONTIR dit Marignan, Pierre CLAVEILLE, Antoine CHEVALIER dit Montou , Joseph PEYTAUT, Pierre FONMARTY dit Cassier, Pierre TAUVAT, LAFON, Etienne LAFAGE dit Fajou du blanc, Pierre CHADOURNE, Jean MONTEIL père, Jacques JURESTAL, Jean MONTEIL fils, dit Fargues, MARCOU, Pierre PREVOT dit Bardel, Jean MALLET, Léonard LAMBERT et Louis LAFAYE sont accusés d'avoir :
1° le 13 mai dernier, à Liorac par attroupement, clameurs ou démonstrations menaçantes, troublé les opérations de la 3ème section du collège électoral du canton de Lalinde avec cette circonstance que plusieurs d'entre eux étaient porteurs d'armes.
2° le même jour et au même lieu, par voie de fait et menaces retardé les dites opérations.
De plus Léonard LAMBERT, d'avoir le même jour et au même lieu pendant la réunion électorale, outragé le maire de Liorac Président du bureau.
De plus Louis LAFAYE de s'être le même jour et au même lieu, immiscé sans titre dans les fonctions de scrutateur du dit bureau électoral.
De plus Antoine GONTHIER dit Laborie, Jean GONTHIER dit Marignan, Joseph PEYTAUT et Etienne LAFAGE dit Fajou le même jour et au mêm lieu par des discours, avis et menaces proférés dans les lieux publics, provoqué à commettre des crimes sans que cette provocation ait été suivie d'effet.
De plus Louis LAFAYE , Jean MALLET, Pierre CLAVEILLE et Léonard LAMBERT
le même jour et au même lieu , par discours, cris ou menaces proférés dans les lieux publics provoqué les auteurs de délits à commettre crimes et délits comme justiciables de la cour d'assises.
(Fin de l'acte d'accusation.)
Sur quoi le jury aura à déclarer si les accusés sont coupables.
le verdict :
Après délibération et malgré les exhortations de la Cour à la sévérité, le jury fut relativement clément, et déclara que seuls Pierre CHADOURNE, Jean MONTEIL fils et Joseph PEYTAUD étaient coupables.
En conséquence, la cour condamna Pierre CHADOURNE et Jean MONTEIL fils chacun à un mois de prison et 100 francs d'amende et Joseph PEYTAUD à 3 mois de prison et 50 francs d'amende et tous trois solidairement au paiement des frais.
Et les 15 autres accusés furent mis sur le champ en liberté.
Les condamnations financières décidées par la Cour semblent assez lourdes, comparées aux salaires pratiqués à Liorac à la même époque (enquête statistique de 1852) :
gages d'un valet de ferme : 90-150F par an
gages d'une servante 48-66F par an
salaire d'un aide agricole 1F par jour, (mais il ne travaillait pas toute l'année)
liorac :
Tous ces évènements eurent lieu à Liorac dans une maison du bourg. C'était sans doute le local loué par la mairie, qui servait à l'époque de salle de réunion pour le Conseil Municipal. Il est malheureusement impossible de la localiser précisement puisque le seul indice est qu'elle possédait des portes vitrées donnant sur la rue !
Peu de Lioracois sont cités dans cette affaire, il s'agit de :
► François CHASSAIGNE, capitaine de la garde nationale. Difficile à retrouver sur les actes d'état civil car à cette époque il y avait encore beaucoup de confusion sur les noms: en particulier dans le cas présent, avec les CHASSAGNE qui étaient nombreux à Liorac et il est inscrit sous le nom de François CHASSAGNIE, capitaine de la garde nationale sur le recensement du bourg de Liorac en 1851.
► Pierre LEYGUE,61 ans, époux de marie Chaveron, tailleur au bourg.
► Jean ROUSSEL,63 ans, tisserand au bourg.
► Pierre LAVERGNE,58 ans, propriétaire , adjoint au maire, habitant aux Bigayres.
► Pierre LOUBIAT,49 ans, propriétaire à la Restarie.
► François BENEYS,48 ans, propriétaire à Genthial, était le maire de Liorac et le Président du bureau pendant les élections. Il semble que son sang froid ait permis d'éviter des développements plus tragiques.
références :
○ Archives Départementales de la Dordogne : ref 2U191
○ Mairie de Liorac : enquête satistique de 1852