Vers 1905 à Liorac,
c'était encore le temps des loups

Voici un témoignage que m'a gentiment envoyé monsieur Jean Pierre CHADOURNE que je remercie bien sincèrement ici. Il nous fait partager une histoire racontée par sa grand-mère Marguerite CARSAT, née à Liorac et qui habitait Carrieux.
Le siècle venait de changer, le progrès allait bientôt améliorer les conditions de vie, mais les campagnes étaient encore bien en retard. La vie était bien différente de celle d'aujourd'hui. En 1901, Liorac était une commune peuplée (542 habitants), à part quelques artisans, tous des cultivateurs : essentiellement des métayers qui cultivaient la terre d'un propriétaire moyennant le partage des récoltes, peu de propiétaires exploitants leurs propres terres, des domestiques de ferme et des journaliers qui louaient leurs services à la journée. L'habitat était dispersé formant plusieurs hameaux, souvent assez éloignés du chef lieu (c'est à dire du bourg).
C'était le cas du village de Carrieux, situé à environ 1,5 km du bourg : il y avait le château abritant la famille de Séverac avec leurs domestiques ; tout près du château, plusieurs fermes louées en métayage. Au total 69 personnes habitaient ce hameau en 1901 : 13 familles et 18 enfants. Plusieurs générations vivaient sous le même toit : les parents, leurs enfants avec leurs conjoints et les petits enfants.
C'était le cas de la famille de Marguerite CARSAT : son grand père François FRANC (Jean à l'état civil, originaire de Beauregard) était le chef de famille. Son épouse Marguerite DOYEN était de Liorac. Leur fille Louise FRANC vivait avec eux avec son époux Louis CARSAT (de St Félix de Villadeix) et la petite Marguerite était née un an après leur mariage.
Voici le texte de Monsieur Chadourne (en orange).
J'ai ajouté quelques commentaires personnels (en noir).
Récit de Marguerite Carsat
née le 14 Novembre 1899 à Liorac.
Nous allions à l'école après les vendanges sûrement en octobre jusqu'au mois de mars ou d'avril. Il fallait travailler au jardin, ramasser de l'herbe pour les lapins, garder les oies, c'était comme ça autrefois.
De Carrieux à l'école, Marguerite partait à pied avec ses sabots et son maigre repas dans un petit bouyricou. Les enfants se regroupaient de maison en maison, nous arrivions 7 ou 8 à l'école.

Une année il faisait très froid, après l'école le groupe diminuait et soudain un cri inhabituel : nous nous sommes arrêtés un moment pour bien écouter. C'était bien ça, mon père m'avait déjà raconté ce bruit, qu'il avait entendu il y a 3 ou 4 ans quand j'étais toute petite, C'était le loup dans les bois. Je te dis pas toute petite, même avec les autres nous avions peur, nous ne traînions pas pour finir le trajet. On frappait les sabots les uns contre les autres, on chantait fort, pour apeurer la bête. Pieds nus sur le sol gelé, les cailloux nous faisaient mal. Je ne sais si c'était efficace nous ne l'avons jamais vu, mais nous l'avons bien entendu ! Parfois les gens disent autrefois c'était bien ; ils n'ont pas vécu ce qu'on a vécu : le froid, la faim, les cailloux, le travail, le noir sans lumière, le maître sévère, et je me rappelle encore les hurlements lugubres du loup qui nous faisaient vraiment peur.
Commentaires personnels :
Depuis les lois Jules Ferry, l'école était devenue obligatoire de 6 ans jusqu'à l'âge de 13 ans, pour les garçons aussi bien que pour les filles. Les parents devaient envoyer leurs filles à l'école alors qu'ils auraient préféré les voir assumer les tâches ménagères ou travailler dans les champs. Les familles à la campagne avaient besoin de l'aide des enfants. Aussi l'année scolaire était écourtée et se concentrait sur la période hivernale pendant laquelle les travaux des champs étaient moindres : les adultes pouvaient alors assumer seuls tous les travaux de la ferme, libérant ainsi les enfants pour aller à l'école.
Ainsi, dans sa session de mai 1908, le Conseil Municipal demande que la rentrée soit déplacée milieu octobre : en effet "par suite des vendanges et de la récolte des châtaignes qui commencent dans la première quinzaine d'octobre, les enfants rentrent régulièrement à l'école lorsque ces travaux sont terminés."
Sur le chemin jusqu'à l'école, les enfants venaient de Carrieux, mais aussi de hameaux plus éloignés, comme la Veyssogne et la Gareille. En chemin, la troupe d'écoliers grossissait avec les enfants du Gros Castang, des Bigayres, de la Poujade, de la Bernarde : (cliquez pour agrandir l'image)

Par tous les temps, c'était beaucoup de chemin à pied pour des enfants de 6 ans, pieds nus dans leurs sabots. avec juste une pélerine pour les protéger du froid ou de la pluie et sans doute le ventre à peu près vide.
 
En 1905, une violente vague de froid frappa le pays tout entier. En Périgord, les cultures souffrirent du grand froid, compromettant les récoltes de l'été. Et les loups d'Europe revinrent en France...
Ecoutez (appuyez sur ►) pour essayer de vous mettre à la place de ces jeunes enfants sans défense, terrorisés par les hurlements du loup dans le bois tout proche :

 
LES LOUPS EN PÉRIGORD
Le loup était présent en Périgord à l'époque préhistorique, comme en témoigne le relevé effectué par l'abbé Breuil en 1910 dans la grotte de Font de Gaume aux Eyzies.
Ensuite pendant des siècles, le loup a été l'ennemi "numéro 1" dans les campagnes, avec des histoires tragiques racontées par les anciens à la veillée : brebis dévorées, chiens attaqués et même enfants tués et emportés : tous les enfants connaissaient ces histoires et ce hurlement terrible entendu près d'un bois un sombre soir d'hiver les a très certainement fait ressurgir dans leurs têtes.
les loups ont été peu à peu exterminés : Un système de primes a incité tous les chasseurs à détruire ce prédateur. Un exemple a été trouvé à Liorac en 1888 Voir ICI De plus, des battues dirigées par des Lieutenants de Louveterie, l'utilisation de pièges et d'appâts empoisonnés à la strychnine (en surveillant les chiens et les cochons de la ferme). ont eu raison de cette espèce. Quelques apparitions du loup ont été rapportées jusqu'au moment de la guerre de 14.
REFERENCES :
■ Pour écouter des cris d'animaux sauvages : ICI
■ Louis CAPITAN, Henri BREUIL, Denis PEYRONNY, La caverne de Font de Gaume aux Eyzies de Tayac , Monaco, 1910. ■ Claude LACOMBE : "Les derniers loups en Périgord et en Sarladais du XVIIe au XXe siècle", Art et Histoire en Périgord Noir, n°110, 2007, p121-124.
■ Jean-Paul AURIAC : "C'était le temps des loups. Du loup au lébérou, récits et chroniques de l'ancien Périgord", 2007, Editions Couleurs Périgord.

@ Marie-France Castang-Coutou
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