La hantise des disettes et famines n'a jamais vraiment quitté les campagnes
de France. Que survienne un hiver particulièrement rigoureux, comme ce fut le cas de celui de
l’an III (1794), le froid occasionne d'énormes dégâts sur les cultures, en particulier sur
les céréales qui constituent la base de la nourriture et la famine se profile.
Dans l'esprit des paysans, chaque grain de blé compte pour assurer la survie. C'est pourquoi
s'instaure très naturellement une certaine méfiance envers les meuniers qui transforment le
précieux grain en farine. On porte des sacs de grains au moulin, mais comment être sûr que le
meunier vous rend tout votre bien ? Toutes sortes d'astuces doivent lui permettre de détourner à
son profit une partie des grains.

Voici un étonnant document trouvé dans les
archives de la mairie de Liorac : sur la face
intérieure de la couverture cartonnée d'un fascicule contenant le recensement de population de
1795, une liste de "fraudes que commettent les meuniers", sans doute recopiée à partir d'une
circulaire officielle. Il est amusant de remarquer que le titre correspond à une affirmation ,
le fait semble acquis, les meuniers fraudent et à lire la liste, ils ne manquaient pas
d'imagination !
FRAUDES QUE COMMETTENT LES MEUNIERS
1ère fraude : quand le sac n'a pas été entièrement rempli
de farine, le meunier pour le faire paraitre plein, mouille la surface extérieure de
la toile du sac; elle se racourcit, se raidit et le sac parait plein.
2ème fraude : Le meunier place au milieu du sac la barre
de fer qui lui sert à soulever la meule, il remplit les interstices avec la farine
qu'il serre légèrement, il retire la barre et remplit la cavité qu'elle a laissée
avec de la farine qu'il y projette d'un peu haut, il mouille ensuite l'extérieur du
sac qui parait plein et le place pour qu'il ne s'affaisse sur le bat du mulet au
dessus d'un sac véritablement rempli.
3ème fraude : des propriétaires payent le droit de mouture
en argent et assistent à la mouture pour ne pas être trompés sur la fin de l'opération,
le meunier, sur quelque prétexte soulève légèrement la meule supérieure; il monte
ensuite sur celui qui recouvre la meule, en appuyant d'une manière indifférete son
bras et sa main sur le blé et il le force à sortir rapidement de la trémie, la meule
s'engorge, la farine ne sortant plus, le propriétaire se retire, et le meunier traine
un boisseau de blé sous la meule.
4ème fraude : en l'abscence du propriétaire, le meunier
met du son dans la farine et attribue ce surcoit de son à la mauvaise qualité du blé.
5ème fraude : Si l'on fait moudre ces grains mélangés, le
meunier les passe au crible et prend son droit en pur froment.
6ème fraude : qaund le meunier a sorti du sac plus que son
droit de mouture, il rafraichit les meules, la farine acquérant plus de corps ne se
conglomère pas et remplit le sac quoique la quantité de blé moulu soit moins
considérable que celle qui est nécessaire pour remplir le sac lorque la meule est
fatiguée.
7ème fraude : des propriétaires exigent le poids de farine
égal à celui du blé 3/5 de livre par sac, le meunier ayant pris au delà de son
droit serre les meules, la farine sort brulante, il la porte étendue sur une toile
auprès de la chute d'eau dessous le moulin, la farine absorbe l'eau...et acquiert
bientôt le poids désiré.
8ème fraude : Cette dernière fraude n'est en général employée
que par des garçons meuniers (appelés farinaires) et à l'insu du maitre, ils pratiquent
un trou le long de la tige de fer qui supporte la meule, ils placent un sac à son
extrémité inférieure sous le moulin, de cette façon, le propriétaire paye encore un
droit au farinaire. Si la meule est pris..; ils font alors un trou dans le mur en face
de celui où sort la farine, et placent le sac.
Archives de la mairie de Liorac.
Au moindre doute, sur la pratique du meunier, les réclamations affluent. Ces plaintes devaient
être suffisamment fréquentes pour que l'Administration s'en préoccupe et ordonne "une visite des
moulins pour découvrir si dans l'un d'eux, la farine est détournée en partie par des pratiques
artificieuses".
Un document des Archives Municipales de Bergerac (fond Pourquery, case 14),
nous relate la
visite des moulins du canton de Liorac :
Cette visite commence le 4 thermidor de l'an 4 (22 juillet 1796) à
St Félix : le moulin de Lapeyrouse sur le Codeau,
exploité par le citoyen Henri Campagnac, le moulin de Rabard sur le ruisseau de la Loire ("Louyre"), tenu à
ferme et exploité par le citoyen Jean Verral , le moulin Bessou sur la Loire exploité tenu à
ferme par le citoyen Ramond Reymondie et exploité par le citoyen Pierre Durestal, le moulin
Blanchard sur la Loire, exploité par les citoyens Gabriel et Pierre Beney frères.
La visite continue sur les communes de
Ste Foy de Longa, de La monzie, de St George,
puis se poursuit sur la commune de
Mouleydier : grand moulin à Blé appartenant au citoyen Valeton, petit moulin citoyen
Decarle, moulin du pré appartenant à la citoyenne Babut des Merles, moulin de la Ressègue.
appartenant à la citoyenne Chanaud Lestang.
ET LES MOULINS DE LIORAC ?

Le 14 thermidor de l'an 4 (1er août 1796)
Paul Lajugie, juge de paix du canton de Liorac assisté du citoyen Etienne Gilbert que nous avons pris
pour greffier d'office, sur la réquisition qui nous a été faite par le citoyen Commissaire
du directoire exécutif contenu dans sa lettre du 9 du courant, nous sommes transportés du la commune
de liorac à l'effet de faire la visite des moulins qui y sont situés pour découvrir
si dans quelqu'un d'eux, il existe des cachettes ... de lesquelles le meunier détourne une partie de
farine appartenant aux propriétaires du blé.
Après avoir scrupuleusement examiné les moulins susdits, visité l'usine et les alentours n'avons nullement
trouvé la fraude dont se plaint le Ministre de la police générale et avons
de tout ce que dressé leprésent procès verbal dont nous avons fait lecture à chacun des meuniers chez
qui nous avons visité.
Fait le jour et an que dessus. Signé Lajugie et Gilbert.
Archives Municipales de Bergerac, fond Pourquery, case 14.
conclusion : les meuniers de liorac étaient honnêtes !