Le faux-monnayage sous Louis XIV

Le contexte
L'histoire se passe en 1713, après les années de famine et le terrible hiver 1709. L'intendant de la généralité de Bordeaux est maintenant Guillaume-Urbain de Lamoignon de Courson, qui a succédé à Yves Marie de La Bourdonnaye. Le règne de Louis XIV touche à sa fin. Ce grand roi a bâti un État centré autour de sa personne et le temps où les seigneurs régnaient sans partage sur leurs terres, rendaient la justice et frappaient des pièces de monnaie est révolu.
À présent, le roi est le seul à pouvoir faire battre monnaie et celui qui viole ce principe commet un crime de lèse-majesté.
Les conséquences de ce crime de fausse monnaie sont très graves puisque les magistrats ne peuvent prononcer qu'une peine fixe, la condamnation à mort ! Et de plus, ce crime de lèse-majesté rejaillit sur la famille du condamné puisque tous ses biens sont confisqués.
Et pourtant, malgré ces lourdes peines, beaucoup d'habitants, petites gens ou gentilhommes s'adonnent à cette pratique et bâtissent parfois des fortunes ! L'intendant de Lamoignon écrira d'ailleurs : "dans toutes les principales maisons de cette province, on travaillait publiquement à la fausse monnaie : c'était une espèce de titre de noblesse parmi eux".

Les pratiques de faux-monnayage :
Le crime de faux-monnayage s'applique à "tous ceux qui fabriquent, altèrent ou exposent de la monnoye, sans permision du roi".
fabriquer Les pièces de monnaie étaient à l'époque des louis d'or, des écus d'argent et des liards de cuivre. Les monnaies d'or ou d'argent portaient sur une face l'effigie du roi, et sur l'autre des motifs assez complexes. Pour reproduire ces pièces il fallait donc se procurer des coins à l'effigie du souverain, mais aussi posséder une installation discrète avec creusets et fourneaux à l'abri des regards indiscrets. C'est dire que cette pratique exigeait un investissement financier non négligeable et restait l'apanage de personnes de condition possédant châteaux ou maisons isolés.
altérer Il s'agissait de rogner et "d'alléger" des monnaies authentiques : quelques coups de lime sur le contour de ces pièces permettaient de récupérer une poudre d'or ou d'argent facilement écoulable auprès des orfèvres. Cette pratique ne demandait pas d'investissement et était accessible à tous !
La rognure s'appliquait également sur des pièces neuves, achetées au dessus de leur valeur et "allégées" dans des proportions importantes (il s'agissait du "billonage", crime également puni de la peine de mort): un gros bénéfice était assuré, mais cette pratique exigeait une mise de fond pour acheter les pièces neuves et des relations dans le monde du commerce ou de la finance pour les écouler après l'opération de rognure.
exposer La mise en circulation, ou même la simple possession, de fausses pièces ou de pièces "rognées" était aussi un crime passible de la peine de mort.


Et les condamnations étaient "monnaie courante" !
Les procès étaient fréquents à Bordeaux : des "jugements contradictoires" étaient prononcés lorsque le prévenu était présent et que les parties pouvaient débattre contradictoirement et loyalement en présentant explications et preuves. Par contre en l'abscence de l'accusé, il s'agissait de "jugements par défaut" et de condamnations par contumace. Rappelons que toute condamnation était accompagnée de la saisie des biens.
Un document des Archives Départementales de la Gironde (C2410) donne les résultats de 5 jugements prononcés en 1712 et 1713 et de la saisie des biens associée.
Les jugements contradictoires ont tous conduit à des exécutions, ce que note d'ailleurs Mr de Savignac, ce magistrat du Parlement de Bordeaux qui a consigné au jour le jour tous les événements et potins de la société bordelaise : " ce 15 février 1713, il y a eu, aujourd'hui deux hommes de pendus devant le Palais pour fait de fausse monnaie en conséquence d'un jugement rendu par l'Intendant, en vertu d'un arrêt d'attribution qu'il avait obtenu pour cette affaire. L'un des pendus était gentilhomme." (Il s'agissait de Jean de Villefumade et de Raymond Bauduc, marchand.)

Et le 6 avril 1713, deux habitants de Liorac furent condamnés à mort par contumace ...
deux condamnés à liorac en 1713...
références
► A. GRELLET-DUMAZEAU, Les Faux Monnayeurs de Guyenne (1639-1645), La Revue de Paris, 1912.
► Archives de la Gironde C2410
► Mémorial général de Labat de Savignac, AD33, 8J 46-47-48-49
► Caroline Le Mao, Chronique du Bordelais au crépuscule du Grand Siècle : le Mémorial de Savignac, Collection "Mémoires Vives", Presses Universitaires de Bordeaux, 2004.

@ Marie-France Castang-Coutou
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