Paroles de poilus de Liorac
pendant la guerre de 14-18 (II)

C'était le temps où Liorac avait encore des commerces : Léonce CHASSAGNE travaillait avec son père à la boulangerie dans le haut du bourg.
Il fit campagne contre l'Allemagne pendant 4 ans (1915-1919).
Voici deux cartes et une lettre adressées à ses parents que sa petite fille, Annie LEYGUE a retrouvées. Merci Annie !
Il y a sans doute encore beaucoup de lettres et de photos de soldats enfouies dans les tiroirs de Liorac, pensez y si vous lisez ces pages. Merci !
 
La correspondance de Léonce CHASSAGNE avec ses parents :
Sa famille :
Léonce CHASSAGNE s'appelait en fait Pierre, comme presque tous les garçons de la famille Chassagne et pour s'y retrouver, ils adoptaient un surnom : Pierre dit "....". Né en 1896 à Liorac il était le fils du boulanger Pierre Chassagne, et de Marguerite (ou Marie) Comte.
Ses parents mariés en 1895 à Liorac avaient au moins 6 enfants dont quatre garçons.
Léonce était l'aîné.
Le deuxième fils s'appelait aussi Pierre "dit Fernand". Son nom finira sur le Monument aux Morts de Liorac : il mourut en octobre 1918 à l'hôpital de Bussy le Château (Marne) des suites de ses blessures de guerre, « Mort pour la France »
Le troisième fils, Pierre "dit Raoul", mourra en déportation pendant la deuxième guerre mondiale. Son nom rejoindra celui de son frère Fernand sur le Monument aux Morts de Liorac, sur la face consacrée à la guerre de 39-45.
Le dernier fils, Marcel, né en 1909 échappera sans doute aux deux guerres.

Son parcours militaire :
Il fit campagne contre l'Allemagne du 10 avril 1915 au 12 septembre 1919. Il fut tout d'abord incorporé à la 12e section des Commis et Ouvriers le 10 avril 1915 (12e SCOA). Le Commis était le nom donné au soldat affecté aux tâches de bureau, alors que l'Ouvrier était le nom d'un personnel servant à l'intendance. Chaque SCOA était affectée à un Corps d'armée dont elle portait le numéro. Comme son père, Léonce Chassagne était boulanger et il devait travailler comme tel pour l'intendance.
D'après sa fiche matricule, il fut affecté ensuite à plusieurs Régiments d'Infanterie : Passé au 63eRI le 1er mars 1916 (cantonnement à Limoges), puis au 89eRI le 9 octobre 1916.
Blessé le 10 avril 1917 à Craonne (Aisne) : plaies multiples à la tête, petites plaies fémur et bras gauche par éclat d'obus. Il fut évacué blessé le 16 avril 1917 et rentra au dépôt le 15 septembre 1917.
Passé au 46eRI le 3 février 1918
La photo est datée au dos "Aux armées, 17/3/1918 Souvenir. Léonce."
(cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Il passa ensuite au 206e RI le 7 septembre 1918, puis au 234e RI le 16 novembre 1918 et enfin au 158e RI le 1er mai 1919.

Au moment de la guerre, Léonce n'était pas encore marié et n'ayant pas d'épouse, il écrivait à ses parents.
Voici deux cartes et une lettre que sa petite fille, Annie Leygue a retrouvées :

Carte de Léonce Chassagne du 15 septembre 1915 : la carte postale montre une vue de Limoges, avenue Garibaldi.
Chers parents,
Mr le Curé(1) est venu vendredi soir me porter la commission, merci beaucoup, j'ai mangé un morceau de saucisson le soir même. Justement, il y avait du riz et comme je n'y suis pas trop fort, je n'en ai guère mangé.
Je suis toujours là pour le moment. Je suis à mon même travail et Greiller ne travaille pas, il a mal à la main/...../Je ne sais pas quand nous partirons, le caporal a dit ce matin que nous partirons le 14 pour Verdun, mais sans doute il n'en sait pas plus que nous. Toujours en bonne santé. Mille baisers à tous.

Carte du jeudi 23 novembre 1916 : la carte montre une vue de St Just la Chaussée (Oise), la gare, les quais.
Chers parents,
Ce matin je vous ai mis un bout de lettre à la poste de St Just. J'espère que vous la recevrez ainsi que cette carte que j'écris pour vous dire que nous sommes là pour la journée et que nous n'arriverons que demain matin /..../on n'en sait rien. Il paraît que c'est des avions boches qui rodaient hier au soir autour d'Amiens, aussi le train ne marchait pas vite. Heureusement que j'ai trouvé pour me soigner. Nous avons pu sortir en ville pour faire des provisions. Je vous assure que depuis mardi soir nous avons fait des kilomètres, nous avons peut être 50 km pour aller au pays où sont les copains et nous allons prendre le train à 4h pour arriver demain au soir.


Lettre écrite sur un papier à l'en tête du Foyer du Soldat Union Franco-américaine(2), non datée, mais évaluée par divers recoupements au 11 février 1918. On y voit le sigle Y.M.C.A. (voir note)
Lundi soir
Chers parents,
J'ai reçu aujourd'hui lettres colis et mandat. Je vous remercie de tout cœur, mais j'aurais pu faire encore quelques jours sans le mandat. Quoique je sois content de faire mon carnaval avec le poulet j'aurais pu m'en passer aussi, nous sommes mieux nourris qu'à l'intérieur. Nous avons notre quart de vin à chaque repas que nous n'avions pas à Villemaur(3) . Nous avons aussi le casse croûte du matin et suffisament de pain. Tout ça nous fait économiser un peu.
J'ai commencé à manger les petits gâteaux qui étaient très bons. Je vais garder mon poulet pour demain soir pour fêter le mardi gras. Nous avons repos l'après midi./.../Pour le moment nous sommes bien je ne sais pas si ça durera. Il part un renfort pour le régiment le 7 je crois, je ne sais pas si j'y serais il y aurait des chances. Je ne peux pas vous dire quand j'irai en perme, pas encore sans doute. Le dépôt du régiment est Fontainebleau (4). Je ne vois plus grand chose à vous dire qui puisse vous intéresser. Bons baisers à tous . Léonce.
Notes :
(1) il s'agissait très probablement du curé de Liorac, Amédée GRATADOU, lui même mobilisé à la 12ème section d'Infirmiers Militaires à Limoges, qui transportait des colis pour ses paroissiens...
(2) : YMCA, Young Men’s Christian Association est une association chrétienne interconfessionnelle : Cette œuvre d’inspiration protestante née au XIXème siècle, a pris un essor considérable pendant la première guerre mondiale. En 1917, lors de l’engagement des Etats-Unis dans la Grande guerre, les YMCA accompagnent le débarquement des troupes. Tenus par des volontaires trop âgés pour se battre, et quelques femmes, ces foyers proposent aux combattants des salles de repos, dans des maisons ou des baraquements, organisent des spectacles et activités sportives et vendent aussi à prix coûtant des articles de première nécessité.
Les foyers du soldat français, difficilement mis en place pendant la guerre, se rapprochent bientôt de ces organisations américaines qui ont de bien meilleurs moyens financiers. Le général Pétain autorise qu’elles prennent le nom de « Foyer du soldat– Union franco-américaine ». C'est l'en-tête que l'on peut lire sur la lettre de Léonce Chassagne.
(3): Villemaur, village de l'Aube, près de Sens au SE de Paris
(4): il s'agit du 46e Régiment d'Infanterie
 

@ Marie-France Castang-Coutou
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