Les cahiers débutent invariablement par les impôts et l'injustice de leur répartition .
Sous l'Ancien Régime, de nombreux impôts étaient perçus par le Clergé, le Seigneur local et le Roi :
► par le Clergé :
la dîme, un impôt en nature s'élevant au dixième des récoltes, était prélevée par le Clergé.
► par le Seigneur :
la corvée était un travail non rémunéré imposé par le seigneur à ses sujets.
la redevance pour l'utilisation obligatoire du moulin banal et du four banal, propriétés du seigneur.
le cens redevance annuelle au seigneur, payée en espèces.
le champant consistant à une portion de la récolte qui pouvait monter jusqu'à un tiers de la partie restant après prélèvement de la dîme.
► par le Roi :Les impôts royaux étaient nombreux et leur recouvrement impliquait une administration fiscale complexe.
la taille : impôt d'origine militaire n'est pas demandé aux Nobles qui font la guerre ni au Clergé qui ne doit pas porter les armes. Ainsi seuls les roturiers sont "taillables".
la capitation : tous les sujets la paient selon leur richesse. Le Clergé verse un "don gratuit" pour tous ses membres.
le vingtième : les revenus des propriétés, des charges de fonctionnaires, et les bénéfices industriels sont imposés. Beaucoup de Nobles obtiennent des réductions importantes ou même des exemptions complètes sur simple demande. Le Clergé en est exempté.
A cela s'ajoutent des impôts indirects sur les produits de consommation :
les aides perçues sur la consommation de certains produits (boissons, transports, cuirs, papiers, savon...)
la gabelle qui est un impôt sur la consommation de sel, indispensable à la conservation des aliments.
les traites étaient des droits de douane perçus sur la circulation des marchandises. Elles étaient levées aux frontières du royaume mais aussi des provinces et
incluaient des droits sur les voies de communication, les péages.
Avec tous ces impôts le peuple était à bout !
En effet, le Tiers Etat supportait la majorité de ces impositions, comme l'illustre la caricature sur les Trois-Ordres où le Tiers Etat, représenté par un paysan appuyé sur une houe inscrite "mouillé de larmes" porte sur son dos un Noble et un membre du Clergé. Cependant la légende de la gravure
indique l'immense espoir du peuple "IL FAUT ESPERER Q'EU SE JEU LA FINIRA BEN TOT".
(
musée Carnavalet)
Revenons aux cahiers de doléance du Tiers Etat :
Ils commencent presque toujours par un déchaînement de malédictions contre la nature expliquant
les difficultés des paysans à cultiver un sol pauvre et ingrat, alors que partout
les privilégiés possèdent les meilleures terres.
Toute l'imposition repose sur les roturiers et tous réclament que les actuels privilégiés paient aussi des impôts.
On pourrait multiplier les citations, en voici quelques unes choisies dans des villages des environs de Liorac :
BANEUIL se trouve sur un côteau fort mauvais, dont la moitié consiste en bois de châtaigners, petit chênes, broussailles et friches,
que le reste en labour est possédé par un gros tiers au moins de nobles et privilégiés qui ne contribuent pas aux impositions.
La paroisse demande que "les impositions soient payées par tous les possesseurs de fonds (id. de terres), nobles, écclésiastiques ou tiers état".
CAUSE DE CLÉRANS :
" il serait justice qu'il n'y eût qu'une seule imposition répartie sur tous les propriétaires, tant privilégiés que les autres et pour proportion à l'étendue et valeur de chaque propriété".
CLERMONT DE BEAUREGARD demande "un seul impôt dont la perception sera simplifiée pour suppléer à toutes les autres impositions
et droits établis dans l'intérieur du royaume, et dont la répartition se fera par égalite sur tous les ordres et suivant la faculté de chacun sans avoir égard à aucun privilège."
Pezuls La paroisse est de fort petite étendue : elle est renfermée dans des enceintes de cottes(côteaux) fort escarpés et fort pierrés; quelques vallons fort sujets au
ravant et fort ingrats, peu de bon chênes, peu de vigne, une petite prairie de beaucoup insuffisante pour le pâturage de ses bestiaux.
LALINDE située sur la rive droite de la Dordogne, est dans une plaine étroite dont un sixième à peu près est occupé par un chemin royal de la largeur de 48 pieds
allant de Bordeaux à Sarlat et par le chemin de halage des bateaux. Le reste des fonds est fort exposé aux ravages fréquents de la rivière.
Le fonds de la plaine est composé d'un quart des fonds de bonne production, le reste médiocre et sablonneux exposés aux débordements de la rivière.
Le plateau ou causse est un fonds ingrat et pierreux, dépouillé de bois, peu de vignes très mauvaises: beaucoup de fonds incultes, souvent de rochers et ruinés par les ouragans fréquents
sur le canton montueux....
Les meilleurs fonds, les uniques productifs, sont possédés aujourd'hui par des privilégiés exempts de contributions.
En résumé, les fonds roturiers sont souvent les plus mauvais et ce sont les terres assujettties à l'impôt. Il existe certes quelques beaux domaines riches et productifs mais ces fonds appartiennnt aux privilégiés.
Tout l'impôt pèse sur les terre de la roture, inférieures en qualité et en surface. De plus le nombre des exemptés augmente constamment par l'achat de charge et leur part d'impôt
retombe sur les roturiers restants (puisque la paroisse est imposée pour une somme globale et la part de ceux qui sont exemptés retombe sur ceux qui restent).
LAMONZIE MONTASTRUC
"il est bon qu'il n'y ait qu'un seul et même impôt qui suppléra pour toutes les impositions, dont la répartition sera faite
par égalité sur tous les revenus des trois ordres sans avoir égard à aucun privilège personnel."
LIMEUIL
l'impôt doit être également et proportionnellement supporté par tous les citoyens et qu'en conséquence tout privilège à cet égard est essentiellement injuste
et tarit infailliblement les ressources de la nation lorsque partout le fardeau de l'impôt pèse uniquement sur les citoyens qui par leur industrie ,
par leur application au commerce ou à l'agriculture pourraient les entretenir. Qu'il est de toute justice et de toute nécessité de soulager cette classe de citoyens vraiment utiles."/.../
"Considérant que le nécessaire absolu ne peut être imposé, il est indispensable de rejeter le fardeau de l'impôt sur le riche qui abuse du superflu"
SAINTE FOY DE LONGAS
Le terroir de notre paroisse/.../ est mauvais, maigre, stérile, beaucoup d'endroits non cultivés parce qu'on ne pourrait payer les frais de culture/../
Il y a très peu de châtaignes dans notre paroisse, aucune espèce de taillis en carrasson ou feuillard en sorte qu'il n'y a
rien de superflu à exporter pour le commerce et pour
opérer la circulation d'argent parce que la seule taille confisque toute l'aisance de cette paroisse et la médiocrité du produit des fonds chez la majeure partie des particuliers est
induffisant pour vivre et pour supporter le fardeau des impôts.
Nous payons une
grosse rente de blé tiercé au seigneur en froment, méture, avoine, argent, et fruits.
Ce qui rend le district de la paroisse taillable plus à l'étroit pour le support des impôts, c'est que le seigneur y possède 12 métairies attelées de 21 paires de boeufs, quatre moulins, une forêt que les maîtres de forge ont acheté et beaucoup de prés, ce qui fait la contenance du tiers de la paroisse taillable.
Le plus grand nombre des particuliers taillables est obligé d'acheter le bois, le foin ou le vin, cela joint aux besoins quotidiens
avec une grosse taille et rente et le payment des frais de culture alors qu'ils n'ont qu'une médiocrité de revenus, tout cela est extrêmement désolant et le degré de misère
est général et extrême dans notre paroisse.
Cependant notre paroisse supporte y compris les deux vingtièmes
trois mille et quelques cens d'imposition, non compris les frais des huissiers et des saisies qui sont fréquentes
ce qu'il fait qu'elle est trop chargée au moins de cinq cents écus car notre paroisse ne pouvant supporter le fardeau annuel de ces impôts quoique plus de deux tiers de cette paroisse
ne mange que du pain de bled de pâques (pousses de blé vert) et ne boit que de l'eau,.../ on est obligé de renvoyer le reliquat d'une année à l'autre et il faut deux ans pour recouvrer l'imposition d'une année.
La paroisse désirerait l'abrogation de tant de privilégiés dans le royaume qui pour peu d'argent achètent des charges inutiles à l'état et sans fonction,
le fardeau desquels reste sur le peuple qui se trouve épuisé plus que jamais et pour avoir soutenu de tout temps presque toutes les charges de l'état, tous les privilégiés augmentent
la misère générale et fait la désolation publique : car si le peuple est trop chargé il est hors d'état d'améliorer ses terres, et de payer les ouvriers, les fonds cependant faute de
réparations dépérissent tous les jours, les revenus diminuent...
SAINT LAURENT DES BÂTONS "Le Tiers Etat se trouvant surchargé et hors d'état de payer si on n'allège son fardeau, demande qu'il n'y ait qu'une seule imposition et un seul rôle et que le Clergé, la Noblesse et le Tiers Etat y soient compris et payent à proportion des fonds qu'ils possèdent dans chaque paroisse."
D'autre part, la paroisse fait remarquer que le Périgord "a payé des droits très considérables pour s'affranchir de la gabelle du sel et demande la continuation de ce privilège".
(en 1552, la Guyenne avait effectivement racheté la gabelle au roi Henri II).
SAINT FELIX DE VILLADEIX résume en une phrase les demandes que l'on trouve dans presque tous les cahiers :
Tous les impôts doivent être réduits en un seul et la répartition pour être juste et équitable doit être faite
sur toutes les personnes sans distinction d'état ni de condition et en proportion des facultés de chacun".
Il est intéressant de remarquer que malgré les fortes impositions, le peuple reste essentiellement monarchiste et respectueux des volontés du Roi.
Ainsi on peut lire sur le cahier de
PAUNAT:
"pour subvenir aux besoins de l'Etat, quoique cette paroisse soit surchargée d'imposition, elle consent pendant dix ans que son taux de taille, vingtièmes, capitation demeure tel qu'il est
fixé pour la présente année 1789 à condition que tous les écclésiastiques, les gentilhommes, les nobles gens de robe et de finance et généralement tous les anciens et nouveaux privilégiés seront imposés à l'avenir ...
par proportion aux biens nobles ou roturiers qu'ils y possèdent de quelque espèce et nature que ce soit ayant seulement égard à leur surface et à la qualité du sol".
L'impôt rentre péniblement ce qui n'est guère étonnant au vu des circonstances. Aussi l'administration fiscale déploie les receveurs des tailles
secondés par une multitude d'huissiers aux tailles qui prennent des frais à chaque intervention.
De plus les abus sont fréquents. Les paysans redoutent leur arrivée dans le village, car tout retard de paiement entraîne la saisie de leurs biens de première nécessité.
Plusieurs paroisses demandent :
► DES RÉFORMES DANS L'ADMINISTRATION DES FINANCES : il y a trop d'abus
CAUSE DE CLÉRANS fait remarquer que
"la levée de l'imposition actuelle est très onéreuse soit à cause des différentes contraintes exercées chaque mois par le receveur des tailles,
soit à cause des droits attribués aux collecteurs-receveurs"
et se déclare prête à faire tous les efforts que la prospérité de l'état exigera dans les circonstances présentes, mais qu'il ne doit être consenti à aucun impôt qu'après que
les réformes dans l'administaration des finances dans la régie et la répartition des impôts ne soient faites et améliorées".
CLERMONT DE BEAUREGARD déclare que plus grand nombre se trouvant dans la dernière détresse et hors d'état de payer leur quotité, surtout au temps précis, n'ayant point de châtaignes ni en conséquence de bétail à vendre"
demande la proscription des huissiers aux tailles qui agravent leur misère par des cautions plus qu'injustes".
FOULEIX note qu'il est "essentiel de remédier aux abus toujours renaissants dans une administration aussi compliquée et aussi étendue
que celle de la France"
LAMONZIE MONTASTRUC demande que la paroisse soit libre de choisir son collecteur et de fixer les appointements qu'il faudra lui accorder /../
et que tous les huissiers établis pour toutes les impositions soient réformés vu leur inutilité et qu'ils puissent être suppléés en cas de nécessité par les huissiers royaux.
SAINT FELIX DE VILLADEIX demande de changer l'administration des finances afin d'en diminuer les frais trop onéreux et
de supprimer les huissiers aux tailles et porteurs de contraintes, remplacés par les sergents royaux sur le lieu /../
il faudrait un tarif qui fixe d'une manière claire et précise les droits que devraient percevoir ces derniers tant par jour que pour chaque opération"
SAINTE FOY DE LONGAS : indique que trop de receveurs extenuent les finances de l'état.
SAINT GEORGES DE MONCLARD demande la réforme d'une infinité d'abus sur les frais de rôle et de contrainte, une économie sur la perception
des recettes d'impôts et une répartition mieux proportionnée de paroisse à paroisse.
SAINT LAURENT DES BÂTONS demande la proscription des huissiers aux tailles qui agravent la misère par des cautions plus qu'injustes".
► RÉTABLISSEMENT DES ÉTATS PARTICULIERS (provinciaux) DU PÉRIGORD POUR RÉPARTIR LES IMPÔTS
Le Roi fixait une somme globale à percevoir pour l'ensemble du royaume. Cette somme était ensuite partagée entre les intendants des différentes provinces qui la répartissaient
entre les paroisses de leur province. Puis des collecteurs dressaientle rôle d'imposition. Plusieurs cahiers demandent que la répartition des impôts soient faites par les membres des états provinciaux.
CLERMONT DE BEAUREGARD réclame que
l'administration de toutes les impositions soit confiée aux membres des états particuliers de chaque province.
LIMEUIL déclare que
la prospérité de cette province exige le rétablissement de ses états particuliers, organisés conformément à ceux de la province du Dauphiné".
SAINT FELIX DE VILLADEIX demande
des états provinciaux pour établir, fixer et répartir le dit impôt"
SAINTE ALVÈRE : suggère que tous les impôts soient répartis à l'avenir par des états provinciaux à laquelle seront asujettis tous les biens fonds
sans distinction d'aucun privilège ni exemption pour la Noblesse ni le Clergé qui seront avec le Tiers Etat sur un seul et même rôle.