Conseils et mesures de précaution
pour bloquer l'épidémie

Page mise en ligne le 8 juin 2020         

Comment a réagi le gouvernement en France devant l'épidémie de grippe espagnole ? Comme nous l'avons vu, dans la presse ce fut tout d'abord le silence : il fallait cacher l'épidémie pour ne pas nuire au moral de la population déjà fort éprouvée par quatre ans de guerre . Puis des mesures "de bon sens" furent prises localemant souvent à l'initiative des préfets. Au niveau national, les différents acteurs médicaux préconisaient des actions différentes, donnant lieu à des débats sans fin. Les journaux réclamaient des mesures d'hygiène publique et de distanciation sociale, sensiblement les mêmes qu'aujourd'hui, seules efficaces en abscence de traitement et de vaccin .
 



CONSEILS AUX PARTICULIERS :

Après tous les prescriptions présentées dans les publicités pour éviter ou combattre la grippe, voici d'autres conseils trouvés dans les journaux.

► FAIRE DU SPORT : du patinage ou du tango !(Excelsior, 5 novembre 1919)

► BIEN SE COUVRIR : la grippe ? rien à faire ! avec les manteaux imperméables Delion
(Excelsior 8 novembre 1919)


► ADOPTER UN RÉGIME VÉGÉTARIEN :
"Bannissez de vos menus la viande sous toutes ses formes. Repaissez vous d'huile douce et de fruits innocents ! Si vous vous êtes déjà laissé terrasser par l'épidémie, commencez immédiatement la cure d'oranges. Jusqu'à complète guérison, ne prenez que des oranges, des citrons, des mandarines, de l'huile d'olive surfine et de l'eau distillée." (Excelsior, 16 mars 1919).
Cette cure d'agrumes ne devait guère être accessible pour beaucoup d'habitants des campagnes tant sur le plan de l'approvisonnement que sur le plan financier.

► PORTER UN MASQUE ?
L'idée n'était pas nouvelle : lors des épidemies de peste au XVIIe, pour essayer de se protéger de la contagion, les médecins portaient un masque avec un nez de cuir en forme de bec d'oiseau (on les appelait les "médecins-becs"). Le nez était rempli de plantes aromatiques censées éviter d'attraper la terrible maladie, imprégnant des éponges placées à l'intérieur du bec. Deux trous permettaient de respirer.
En 1919, l'Excelsior annonce , photos à l'appui :

LES LONDONIENS PORTENT DES MASQUES POUR SE PRÉSERVER DE LA GRIPPE ESPAGNOLE


La grippe dite espagnole vient de faire adopter dans la capitale anglaise une mode curieuse : c'est le port du masque respiratoire pour éviter la contagion. Dans les quartiers les plus fréquentés on voit passer maintenant des dames, des soldats, de graves civils protégés contre le facheux et mystérieux microbe en la plus étrange mascarade.

Le port du masque était déjà courant au Canada et aux Etats Unis : Mill Valley, Californie, 1918. Sur la pancarte portée par la femme à droite : « Portez un masque ou vous irez en prison ».

Mais l'usage du masque en France n'était pas gagné ! En effet, quelques jours plus tard (2 mars 1919) un journaliste de l'Excelsior écrit sur un ton badin une polémique contre des masques inesthétiques:
Paris n'est pas gai. Paris a la grippe et ne peut s'en débarasser. Le remède existe. Il faut porter un masque ! Le remède est pire que le mal. Excelsior nous a monntré des dames anglaises munies d'une petite muselière porcine du plus fâcheux effet ! Les Pariseinnes préfèreront toujours la mort à cette disgrâce. Alors, frères, faut-il mourir ?...
Attendez ! il y aurait bien un moyen, mais il faudrait un peu de doigté pour le faire adopter. Personne n'ira jamais acheter un masque chez le pharmacien, mais toutes les femmes en porteraient si la mode l'exigeait. Les modistes peuvent sauver des milliers de vies humaines en lançant la voilette-masque. Supposez un voile léger, à la mode orientale, laissant apercevoir l'énigme tendre ou moqueuse de deux grands yeux d'odalisque ! Rien de plus gracieuxque ce pudique et provocant petit voile qui pourrait composer avec la coiffureu ensemble amusant et hardi. On le ferait en soies aériennes de couleurss chatoyantes : les boulevards auraient l'attrait galant et discret des anciens bals masqués. Le langage des yeux et le dialogue des cils prendraient une éloquence insoupsonnée. Les femmes touveraient le moyen d'être ensorcelantes et de nous donner la vision du Pardis de Mahomet !... Et la grippe serait vaincue et bien des deuils nous seraient épargnés ! Les médecins n'y peuvent rien : les modistes peuvent tout ! Quelle marchande de frivolités va rendre à Paris sa santé et sa gaité ?
Comme à présent il y avait les "contre" et les "pour", comme le montre la photo suivante (© Getty / Topical Press Agency) où l'on voit des Parisiens incitant à porter un masque . C'était en mars 1919, la guerre était finie, mais l'épidémie n'avait pas dit son dernier mot !




LES MESURES D'HYGIÈNE PUBLIQUE

La grippe à Paris
A l'automne 1918 , six mois après le début de l'épidémie , on commence à prendre des mesures à Paris. "En ce qui concerne la grippe, les pouvoirs publics ont pris toutes les mesures de précaution suggérées par le corps médical. La commission insiste auprès des services compétents pour que les lois et règlements concernant l’hygiène publique soient respectés : voitures du Métro et des autobus ne devront pas être balayées à sec, les salles d’école et des mairies où il y a agglomération de public pour les distributions des cartes devront être désinfectées".(Le Figaro, 11 octobre 1918).

A Paris la lutte contre la grippe s’organise. Des mesures très sérieuses ont été prises pour protéger les écoliers et les étudiants. L’administration préfectorale a donné aux directeurs d’établissements scolaires des instructions spéciales dont l’application est méticuleusement contrôlée par le service d’inspection médicale. Chaque matin les élèves sont visités et renvoyés dans leur famille s’ils paraissent souffrants. Si un seul cas de grippe est reconnu, l’école est immédiatement désinfectée. Des ordres ont été donnés par la préfecture de police pour que les stations du Métro, les trains, tramways, autos, voitures soient lavés fréquemment avec des désinfectants. Ces mesures seraient également imposées très prochainement à tous les lieux de rassemblements publics : théatres, concerts, cinémas, cirques, gares de chemins de fer, salles d’attente, église, temples, salles de réunions, ...(Le Petit Parisien, 12 octobre 1918).
1° Evitez les rassemblements ;
2° Prenez des grogs au rhum ;
3° Pécautionnez vous de quinine, d’aspirine et autres médicaments de circonstance ;
4° au premier malaise, appelez le médecin. C’est facile à dire… le journaliste raconte alors son épopée pour trouver un médecin à Paris.
Paris Les administrations publiques prennent contre cette épidémie les dispositions nécessaires. Dans les hôpitaux on multiplie les chambres d’isolement ; dans les écoles de sérieuses mesures sont prises pour l’aération et la désinfection. Pour le moment, le licenciement général des élèves n’est pas envisagé. Il y a eu toutefois des licenciements particuliers (La Croix 18 octobre 1918)

La grippe en province
L’épidémie de grippe sévère qui règne à Lyon a amené le maire à prendre un arrêté qui en premier lieu supprime les convois funéraires ; les délais d’inhumation seront abrogés et les corps seront conduits directement au cimetière où se feront les cérémonies. En raison de la grippe, les représentations théâtrales, cinémas, conférences et toutes réunions sont interdites à Bourg jusqu’à nouvel ordre.(La Lanterne 17 octobre 1918).
En raison de l’épidémie de grippe qui sévit actuellement, le préfet d’Ile et Vilaine a décidé que les écoles publiques et privées du département ne seront réouvertes qu’à partir de lundi 4 novembre. Des mesures semblables ont été prises dans le Morbihan et le Finistère (La Lanterne, 29 septembre 1918).
En raison de la grippe, cinémas et théatres ont été fermés à Moulins (La Lanterne 18 octobre 1918)
À Bordeaux : Voici le texte de l'arrêté préfectoral, paru dans La Gironde du 24 octobre 1918 : les mesures prises sont beaucoup plus sévères qu'à Paris, thétres, cinémas et écoles fermés.
Art. 1. Sont interdits dès ce moment, et jusqu'à ce qu'il en soit autrement disposé, toutes représentations théâtrales et des cinémas, tous concerts et toutes conférences, et autres réunions n'ayant pas un caractère utile.
Art. 2. Les écoles publiques et privées et tous établissements scolaires en général, seront immédiatement licenciés et resteront fermés pendant la même période. Ils ne pourront être ouverts de nouveau qu'après avoir été nettoyés, lavés et blanchis.
Art. 3. Toutes cérémonies cultuelles, et en particulier les cérémonies funèbres, seront réduites au strict nécessaire, après accord avec les divers ministres des cultes.
Art. 4. Tous cafés, restaurants et débits de boissons en général, seront fermés au plus tard chaque jour à 21 heures.
Art. 5. Des nettoyages journaliers et des balayages humides, avec liquides antiseptiques, seront effectués dans tous les édifices cultuels, établissements publics, banques, magasins, halles et marchés, cafés, restaurants, débits de boissons, et en général dans tous les centres d'agglomérations, ainsi que dans toutes les voitures publiques (omnibus, autobus, tramways) et leurs dépôts.
L'inobservation de ces prescriptions pourrait entraîner la fermeture des locaux. Art. 6. Le présent arrêté est immédiatement applicable.
Comme on vient de le voir, ce sont les préfets qui ont pris des mesures ponctuelles. On ne voit pas de dispositions nationales et le Journal dénonce cet absence de mesures ! (mais il est vrai que les dirigeants s'affairaient à obtenir la reddition de l'Allemagne et à rédiger les conditions du traité de Paix)

MESURES URGENTES contre la grippe

Les pouvoirs publics ne semblent pas avoir entrepris contre la grippe- dont les méfaits vont en augmentant- une lutte pratique sérieuse. Tout s’est à peu près borné à des affiches et à des circulaires. Il y a pourtant des mesures urgentes à prendre. On nous permettra d’en indiquer ici quelques unes. Préventivement d’abord, il importe : - d’ordonner immédiatement la désinfection rigoureuse des lieux de rassemblement : salles de spectacle, cinémas, écoles, bureaux de poste, restaurants, voitures des transports en commun ;
- d’interdire le balayage à sec tant sur les voies publiques que dans les appartements ;
- de mettre à la disposition du public les quantités nécessaires de désinfectant énergiques : formol, hypochlorites, phénols réquisitionnés à l’heure actuelle pour diverses fabrications de guerre.
- de prendre tous arrangements utiles pour supprimer les attentes sous le froid mortel de la foule désireuse de se procurer des pommes de terre; d’organiser dans les mairies ou dans les écoles des distributions de boissons chaudes ; d’appliquer rigoureusement les règlements interdisant de cracher à terre ; d’intensifier la surveillance médicale de la population scolaire…
Tout cela peut être fait par de simples arrêtés préfectoraux et par des ordres rapides et précis donnés aux fonctionnaires.

Ensuite, pour que les personnes atteintes puissent être soignées convenablement, il faut augmenter très largement le nombre des médecins militaires autorisées à se rendre au domicile des malades; créer pour eux des permanences comme il est fait en cas de raid aérien; leur donner droit de réquisition des taxis à toute heure; laisser ouvertes la nuit les pharmacies des dispensaires municipaux et des hôpitaux en les autorisant à vendre au public; d’approvisionner enfin les pharmacies privées en médicaments indispensables particulièrement en sels de quinine qui font à l’heure actuelle à peu près complètement défaut… Enfin il est une mesure , prise au début de la guerre pour lutter contre l’alcoolisme, qui doit être provisoirement rapportée et adoucie : celle qui interdit d’acheter moins de deux litres à la fois de spiritueux , rhum ou cognac. Les grogs alcoolisés constituent un excellent préservatif contre les atteintes de la grippe : toutes facilités doivent être données pendant l’épidémie de s’en procurer en quantités raisonnables. Tel est à peu près le tir de barrage soutenu et nourri qu’il faut déclencher contre l’épidémie. Si malgré cela le mal va grandissant il faudra sans hésiter aller aux remèdes plus énergiques encore : licenciements des écoles, interdictions des rassemblements, cordon sanitaire aux frontières et dans les ports.
L’heure n’est pas aux demi-précautions (Le Journal 19 octobre 1918)

A l'exception des grogs au rhum, tous ces conseils et mesures de 1918-1919 sont les mêmes que pour la crise actuelle du Covid19.

Le bilan en France

@ Marie-France Castang-Coutou
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