Que pouvait faire la médecine en 1918 ?

Page mise en ligne le 8 juin 2020         

En 1918-1919, la grippe espagnole a frappé le monde entier.
Face à ce fléau que pouvait faire la médecine ?
Quelles étaient les connaissances médicales à cette époque ?
Pourquoi cette épidémie fit-elle tant de morts ?
 
LES SYMPTÔMES DE LA GRIPPE :
Le petit Parisien indique le 26 septembre 1918 : La grippe de 1918 revêt plusieurs formes. Chez certains individus, elle reste bénigne, la fièvre est légère;on constate des malaises gastro-intestinaux, des douleurs lombaires ou des catarrhes bronchiques simples; en quelques jours tout est rentré dans l'ordre.
D'autres fois , la forme est plus sérieuse/.../:
Seules sont à redouter les graves complications pulmonaires : la broncho pneumonie, l'oedème aigu du poumon, dont l'issue est souvent malheureusement fatale.
Ces complications sont dues à des agents pathogènes tels que le colibacille de Pfeiffer, le pneumocoque, le streptocoque, qui agissent secondairement sur un terrain affaibli par l'agent inconnu de la grippe, qui paraît être un virus filtrant.

LE "VIRUS" RESPONSABLE DE LA MALADIE ÉTAIT DONC INCONNU
Un virus filtrant ? on avait alors constaté que certains agents pathogènes traversaient des filtres fabriqués pour arrêter des bactéries. C'était donc des entités très petites, beaucoup plus petites qu'une bactérie, invisibles au microscope optique. On les a baptisés "virus" ( du latin virus = poison) mais sans rien connaître de leur structure ni de leur fonctionnement. Il faudra attendre 1939 pour "voir" un virus par microscopie électronique ( il s’agissait du virus de la mosaïque du tabac).
Donc en 1918, on ne connaissait rien des virus sauf leur caractéristique d'être extrêmement petits.
La structure de l'ADN, cette molécule complexe base de la transmission du matériel génétique, ne sera découverte par Watson et Crick qu'en 1953. Plus tard, lorsque la microbiologie, la génétique et la virologie auront avancé, on comprendra la particularité d'un virus : il ne peut se reproduire ("se répliquer") tout seul. Il lui faut pénétrer une cellule et utiliser la machinerie cellulaire pour se multiplier, faire exploser la cellule et de là envahir tout l'organisme.
Ce virus de la grippe espagnole était dangereux et facilement transmissible, puisqu'il a envahi le monde entier et ce malgré des moyens de communication plus limités qu'à notre époque. Pour s'en défendre il n'y avait guère que des mesures de précaution pour limiter la transmission du virus, puis qu'on ne connaissait pas le moyen de l'éradiquer. Les médecins se battaient contre cet agent infectieux inconnu. En 1919 deux chercheurs de l'institut Pasteur proposèrent un vaccin non pas contre le virus, mais contre les bactéries opportunistes qui infectent des organismes affaiblis par l'infection grippale, permettant par là même d'éviter les complications pulmonaires souvent mortelles. Ce vaccin pouvait "être utilisé à titre préventif pour essayer de prémunir les personnes particulièrement exposées à contracter la grippe, ou à titre curatif" (Le Figaro 16 janvier 1919). Au Japon, des expériences furent menées sur des volontaires..., mais sans connaissances plus avancées, il était impossible de concevoir un vaccin contre ce virus de la grippe espagnole.

Ce n'est qu'en 2006 que des chercheurs américains (J.Taubenberger, A. Reid, T. Fanning ) ont retrouvé le virus de 1918 à partir de corps conservés par le froid en ALaska, puis étudié ce virus (Pour la Science, janvier-mars 2006 ICI pour lire l'article).

LES MÉDECINS MANQUAIENT : beaucoup étaient mobilisés et soignaient et opéraient les blessés dans tous les hôpitaux du pays.

PAS DE REMÈDES seulement des conseils d'hygiène soit de l'Académie de Médecine soit d'un certain nombre de charlatans vantant leur produit miracle (voir les publicités page suivante) Les antibiotiques n'existaient pas encore pour combattre les complications pulmonaires. Les remèdes utilisés se résumaient à l'Aspirine, à la quinine et à quelques produits d'hygiène pour la gorge et le nez et quelques pastilles ou sirops pour calmer la toux.



Voici les conseils donnés par le Professeur Xavier Arnozan à Bordeaux, dans La Gironde du 15 octobre 1918 :
Individuellement, quelques précautions peuvent être prises. On conseille en particulier d'appliquer à l'entrée des narines, 2 ou 3 fois par jour, un peu de la pommade suivante : résorcine 40 centigr., soufre précipité 20 centigr., menthol 20 cen- tigr., vaseline 20 g., ou bien introduire dans les fosses nasales, 3 fois par jour, quelques gouttes d'huile goménolée. Pour la gorge, il est bon de toucher les amygdales, 2 fois par jour, avec le mélange suivant : glycérine 9 g., teinture d'iode 1 g., ou bien se gargariser avec un mélange d'une cuillerée d'eau oxygénée avec un verre d'eau chaude, ou encore avec la liqueur de Labarraque (plus connue en usage domestique sous le nom d’eau de Javel ), en solution à 5 %. Dès que l'on a la fièvre ou le frisson, il importe de se mettre au lit et à la diète, de prendre des boissons chaudes et, si le mal s'accentue, d'appeler le médecin ou de se faire admettre à l'hôpital.

De simples précautions, pas de traitement ! Le Matin du 1er novembre 1918 résume fort bien la situation :
Il n'existe pas encore de traitement spécifique à la grippe, puisque la seule médication spécifique que l'on puisse opposer à une infection est la sérothérapie (injection d'un sérum provenant d'un animal vacciné contre une maladie infectieuse) ou la vaccinothérapie (utilisation des vaccins dans le but de protéger l' organisme contre une ou plusieurs maladies, ou pour combattre une maladie déjà déclarée en augmentant la résistance de l'organisme), mais ces méthodes sont encore à l'étude.
Autant dire que les médecins étaient sans moyen devant ce mal mystérieux.

Les médecins étaient débordés mais ils savaient que, dans la plupart des cas, ils ne pourraient pas faire grand chose pour sauver le malade comme le raconte le Dr Michel Carcenac un écrivain Périgourdin de Belvès, où il fut médecin pendant de longues années :
Le Dr Michel CARCENAC a publié des textes passionnants racontant entre autres sa jeunesse dans le maquis pendant la dernière guerre mondiale ("Les combats d'un Ingénu") . Son père avait fait des milliers de photos du Périgord et Michel Carcenac a publié ces clichés magnifiques ("Le Périgord de mon Père").
Vous pouvez voir et commander tous ses livres à partir de son site : ICI.

Il a récemment publié un récit dans la revue Histoire-généalogie où il raconte l'histoire du Dr Léopold MURAT, son prédécesseur à Belvès, pendant la période de la grippe espagnole ICI . Le Dr CARCENAC m'a très gentiment autorisée à publier un extrait de ce très intéressant témoignage sur la vie d'un médecin de campagne pendant cette redoutable épidémie (suivre le lien ci-dessus pour voir le texte complet). Qu'il soit ici sincèrement remercié.

A BELVES : Le docteur Murat et la grippe espagnole
A l’automne 1918, la grippe espagnole qui sévissait dans le monde entier est arrivée dans le canton de Belvès./../
Il y avait trop de malades, Murat avait sa liste, sur quels critères avait-il fait son choix ?
La maladie était la même pour tous : pleurésie. Du liquide purulent dans la plèvre .

Les malades étaient toujours assis dans leurs lits, jamais allongés, calés par des édredons. Ils faisaient de gros efforts pour respirer, la tête penchée sur un côté. La toux était rauque, sèche, très pénible, un peu soulagée par une infusion de tilleul et de miel.
Un fer à repasser chauffait sur des braises dans le cantou, Personne ne parlait, sauf pour l’essentiel. Les visages des bien-portants était sinistres. On sentait la mort. Murat, après avoir enlevé les vêtements, auscultait le cœur, tapotait la cage thoracique pour trouver avec la matité, le niveau du liquide dans la plèvre. Avec de l’eau de vie très forte il nettoyait le thorax pendant qu’une femme repassait un grand mouchoir.
Murat expliquait au malade ce qu’il allait faire, qu’il aurait un peu mal mais il savait qu’il était courageux et ne bougerait pas, que ses enfants l’aideraient en le soutenant par les bras ; s’il avait mal il pouvait crier, ça soulage. Le canif aiguisé et stérilisé contre une braise bien rouge, Murat l’enfonce entre deux côtes. Du liquide purulent jaillit sur un linge. Quand plus rien ne coule, Murat engage le mouchoir dans la brèche qu’il a créée, le fait avancer de la pointe du couteau. « Le mouchoir va suer, mettez des linges propres et repassés pour recueillir le jus et changez-les souvent. Quand le mouchoir sera sec vous l’enlèverez doucement. »
Et il recommence parfois la même opération pour l’autre poumon.
Avant de partir il donne un petit flacon de pilules fabriquées par le pharmacien, pilules qui calmeront la toux. On le paye mais souvent il répond : « quoi ré. » Il ne reviendra pas voir son malade, il n’a pas le temps, les autres l’attendent.
« J’ai fait mon boulot, ils s’en sortent ou ils crèvent, c’est comme ça avec cette saloperie de grippe. »
à Paris, les pharmaciens sont débordés et il y a pénurie de médicaments
Dans les pharmacies, c'est un défilé ininterrompu de personnes venant chercher des pastilles, des cachets, des plantes à tisane.
On manque des principaux médicamentsles plus urgents , surtout des fébrifuges, sels de quinine, pyramidon, aspirine et dérivés des benzènes. On nous dit que c'est la crise des transports qui a produit cette^pénurie. Il y aurait eu notamment plusieurs wagons d'aspirine égarés, mais la crise de la quinine est antérieure à la crise actuelle. Le service de santé en a cédé aux drogueries civiles, mais cela ne représente qu'une petite quantité pour chaque pharmacie. Il faut espérer que les pouvoirs publics vont prendre les mesures voulues pour que l'on ne manque plus des remèdes indispensables.(Le Matin , 19 octobre 1918).

Le 22 octobre 1918 le Journal titre en première page: "Pour éviter la grippe, la quinine parait efficace" (l'histoire n'est qu'un éternel recommencement !) et explique qu'une enquête du "Matin" prouve que les paludéens* qui usent régulièrement de ce médicament . sont moins malades que les autres. (*Les troupes de l'armée d'Orient atteintes par le paludisme étaient traitées de façon préventive et systématique par la quinine).

Le même jour, le député de l'Indre intervient à la Chambre et demande quelles sont les mesures pour assurer à la population de Paris et de province les soins médicaux et les médicaments qui font actuellement défaut et fait remarquer qu'il est impossible de se procurer à Paris de la quinine, du formol, du benzo-naphtol, le l'huile de ricin, médicaments particulièrement recommandés par les médecins contre la grippe.
Face à cette pénurie de médicaments, les publicités pour des produits-miracles fleurissent dans les journaux.

Publicités et produits-miracles

@ Marie-France Castang-Coutou
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