La tissanderie est un petit village de Liorac situé au nord du bourg, sur une colline dominant au Sud la vallée de la Louyre et au Nord celle du Caudeau vers St Georges de Monclard, comme le montre la carte de Belleyme tracée autour de 1775.
Mais ce lieu bordé au Sud par la voie romaine devait exister bien avant. La proximité de cette voie de communication a certainement favorisé le commerce au cours des siècles, mais le manque de documents ne permet pas de retrouver l'histoire de ce hameau avant la fin du XVIIe.
Le nom même de Tissanderie, souvent écrit "texenderie" (racine latine : texere, tisser), laisse d'ailleurs suggérer que ce hameau -il y a très longtemps- a rassemblé des tisserands, métier qui comme nous l'avons vu était très répandu à Liorac sous Louis XIV. Cependant, curieusement le dépouillement de milliers d'actes des registres paroissiaux de Liorac n'a permis de trouver la mention que d'un seul tisserand à la Tissanderie : Hélie ROUCHES en 1673 ! Alors que pour la période 1668-1705, (période pour laquelle le curé Guillaume Pourquery officiait à Liorac et qui était remarquablement précis dans la rédaction de ses actes, notant de nombreux détails et en particulir les professions), les tisserands étaient nombreux dans plusieurs villages de Liorac, le Sorbier, la Raffigne ou Filolie !
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ICI).
La comparaison du cadastre "Napoléon" de 1824 avec le plan actuel de la Tissanderie, montre que beaucoup de bâtiments de ce village ont traversé le temps et c'est en particulier le cas de la maison de maître des Valleton de la Tissanderie.
En effet cette habitation n'a guère changé : elle se compose d'une maison allongée à quatre travées. Les ouvertures centrales donnent sur une terrasse et un escalier permet de rejoindre le jardin.
La photo suivante provient du site web des chambres d'hôte de la Tissanderie, avec l'aimable autorisation des propriétaires que je remercie ici. On peut remarquer les lucarnes à ailerons qui surplombent les ouvertures. Deux bâtiments de communs encadrent cette élégante petite chartreuse.
Les valleton de la tissanderie
Le document le plus ancien que j'ai consulté concernant cette branche est un acte notarié de 1656 passé devant Me Babut notaire à Cause de Clérans (communication privée, merci à Olivier pour son aide au déchiffrage et pour ses explications détaillées.)
5 juin 1656 : Jean Valleton, sieur de la Tissanderie, marchand, achète la ferme de la dîme pour le quartier du bourg.
Cela signifie que ce Jean Valleton de la Tissanderie était un riche marchand qui avait suffisament de moyens pour avancer la somme de la dîme dûe au curé (en général 1/10è de la récolte en se basant sur la dîme de l'année précédente). Il prenait ainsi la récolte à son compte en faisant le pari de récupérer plus qu'il n'avait payé !
De plus, pour ne pas se préoccuper des contingences matérielles, tenir un livre de compte, récolter les grains, les charger et les transporter, le fermier des grains décimaux sous-traitait la récolte à plusieurs
sous-fermiers, des pauvres gens qui là aussi espéraient se payer en récoltant plus que ce qu'ils avaient convenu de donner à Jean VALLETON.
Parmi ses sous-fermiers, il y avait un Pierre VALLETON, dit "prince" qui était travailleur de terre aux Granges et donc d'un statut social bien inférieur à celui du "riche marchand", son homonyme. Il fait partie des nombreux Valleton que l'on trouve dans les registres paroissiaux de Liorac et qu'il n'est pas possible de rattacher à une branche de cette famille.
Notons que le même Jean Valleton, sieur de la Tissanderie, marchand, a quelques jours plus tard, les 13 et 15 juin 1656, acheté la ferme des grains décimaux de Carrieux et de Filolie et comme précédemment les a déléguées à plusieurs autres sous-fermiers.
La fortune de ce marchand devait donc être conséquente puisqu'à lui seul il était capable d'avancer la dîme de plus de la moitié du village.
La génération suivante comprend deux frères :
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le cadet, Pierre né vers 1669, sieur de la Bereigne (nom d'un lieu inconnu), lui aussi marchand, qui a vécu maritalement avec Suzanne BEAUSSE, sans doute après un contrat de mariage protestant, et qui n'était donc pas marié aux yeux de l'église catholique. Il a régularisé la situation lors d'un mariage catholique en 1704 dans l'église de Liorac et le curé Pourquery précise : "ayant cohabité ensemble sans être mariés. ayant eu Marguerite et David François, leurs enfants naturels, ayant donné des témoignages de pénitence par leur séparation, le mariage a été célébré, les enfants présents et mis entre les époux".
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L'aîné né vers 1658, qui garde le nom :
Helie Valleton, sieur de la Tissanderie,
Il épouse en 1686 dans l'église de Liorac
Henrie de PEYREBRUNE, fille de Jean de Peyrebrune, sieur de Granval.
C'est lui qui continue la lignée des Valleton de la Tissanderie. Ils ont au moins deux enfants, Marie née en 1687 à la Tissanderie et Henry né en 1696.
La génération suivante continuée par
Henry, sieur de la Tissanderie qui épouse en 1724 dans l'église de Liorac
Françoise de POURQUERY de GARDONNE fille de Guillaume POURQUERY avocat en parlement, hbt du lieu de Gardonne paroisse de Montagnac la Crempse et de Anne de Labatut. On reconnait là les parents de celui qui deviendra capitoul de Toulouse, Pierre Pourquery de Gardonne
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ICI).
Françoise était donc la soeur du futur capitoul. Le couple a de nombreux enfants (j'en ai retrouvé 14 !) mais plusieurs meurent en bas âge. Quant au père, Henry VALLETON, sieur de la Tissanderie, il sera inhumé dans l'église de Liorac le 12 novembre 1763.
Suivons l'aîné,
Guillaume, né en 1725, il avait eu pour parrain et marraine ses grands parents, Guillaume Pourquery de Gardonne et Henrie de Peyrebrune : il meurt à 38 ans, le 13 octobre 1763, quelques jours avant le décès de son père Henry le 11 novembre 1763.
Plusieurs garçons du couple Valleton-Pourquery sont morts à la naissance ou très jeunes, le premier fils survivant est encore un
Guillaume, né en 1737 (à cette époque il était fréquent de donner le même prénom à plusieurs enfants dans une même famille). C'est donc ce Guillaume qui continue la lignée : il épouse vers 1770, dans un lieu inconnu
Elisabeth BROUWERS (nom du nord, belge ou hollandais, écrit de différentes façons selon les actes: Brouwers, Brouvert, Brouvers). Elle était fille d'Arnaud BROUWERS, sieur de Flament et d'Anne Marie de MARTIN.
Guillaume VALLETON décède à la Tissanderie en février 1819 et son épouse Elisabeth, lui survit jusqu'en juillet 1823, époque de son décès à la Tissanderie à l'âge de 80 ans.
Là encore, une série d' enfants nés à la Tissanderie :
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Arnaud (né le 15-05-1771) : il épousera à Bergerac le 3 germinal de l'an VII (19 avril 1799) Marie Thérèse ROUCHON. Elle était fille de Joseph Rouchon, négociant à Bergerac et de Marie Thérèse Laugier. Toujours le cercle du commerce...
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Jean (né le 10-04-1773)
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Claude Henry (né le 14-09-1774) : il épousera en 1825 , donc fort tardivement puisqu'il avait alors 51 ans, Marie Thérèse Victoire ETOURNEAU LAFAYE elle même âgée de 50 ans . C'est la première fois qu'apparait sur l'acte de mariage le patronyme "VALLETON BOIVERT " (peut être le nom francisé de sa mère). Cette première épouse mourut en 1828 à la Tissanderie.
Il épousa ensuite en 1836 à Liorac (il avait 62 ans) Catherine REBEYROTE (elle avait 38 ans et était sa cuisinière). Mais cette dernière mourut également à la Tissanderie en 1838.
Veuf pour la seconde fois, il se remaria très vite en 1838 à Liorac, à 64 ans, avec Anne Marie LEYMARIE LAJARTHE (elle avait 22 ans et était sa cousine car elle était fille d'Anne BROUWERS, soeur d'Elisabeth Brouwers la mère de Claude Henry Valleton).
Ces trois mariages ne donnèrent pas d'enfant,
Claude Henry Valleton Boisvert mourut le 20 février 1839 à la Tissanderie après avoir fait son testament devant Me Chanut, notaire à Cause de Clérans (consultable aux Archives de la Dordogne sous la côte 3E10053):
"Je donne et lègue à titre d’institution d’héritière à dame Anne Marie Leymarie Lajarthe ma femme demeurant avec moi généralement tout ce qui m'appartiendra lors de mon décès la charge par elle de mes honneurs funèbres, des oeuvres pies, et d'acquiter des legs particuliers..."
Il indique en effet quelques legs particuliers assortis d'une demande systématique de messes, cette lignée Valleton avait donc définitivement adopté la religion catholique.
1° la somme de 3000F à madame Lavigne et à Louis dans 4 ans après ma mort sans intérêt, seulement dans le cas où la donation que je lui ai faite par acte devant Chadourne notaire ne pourrait avoir effet.
2° à demoiselle Pétronille Teyssendier ainée du lieu des Cavachoux commune de St Georges de Monclard une somme de 1000F dans deux ans après ma mort, cinq cents francs chaque année sans intérêt à la charge par ladite Teyssandier de me faire dire six messes chaque année pendant dix ans après ma mort.
3° à la nommée Thérèse Valeton, sans profession demeurant à Monclard commune de Saint Georges de Monclard une somme de mille francs payable aussi dans deux ans après ma mort, cinq cents francs chaque année à la charge de ladite Thérèse Valeton de me faire dire six messes chaque année pendant quatre ans après ma mort
Note : cette Thérèse était née à Campsegret de Marie Mathieu servante et d'un père inconnu. Avait-elle été reconnue par un Valleton ?
4° dans un an après ma mort, à mes domestiques qui seront à mon service, toutes mes hardes et linge de corps pour être entièrement partagés par égale portion, en outre une somme de cent francs à chacun payable dans le même délai.
Anne Marie LEYMARIE LAJARTHE, la veuve, héritait donc de tous ses biens et donc de la Tissanderie; elle demanda la même année
un inventaire de la Tissanderie à cause de sa grossesse présumée.
Cet inventaire fut réalisé par Me Chanut, sans doute le notaire de famille résidant à Cause de Clérans, AD24 ref 3E10053) : on peut en lire la transcription en cliquant sur le livre ).
Par le testament de son mari, Anne Marie Leymarie Lajarthe était donc devenue une riche propriétaire. Elle vendit d'ailleurs plusieurs parcelles dont le terrain en haut du bourg G81 qui permettra la construction de tout le Haut Liorac.
voir ICI
Une fille posthume de Claude Henry,
Anne Marie Valleton Boisvert de La Tissanderie, naquit effectivement à Faux le 20 septembre 1839 où sa mère résidait depuis deux mois.
Elle devint le dernier maillon de cette branche de la Tissanderie. Mais c'était une fille et la lignée des Valleton de la Tissanderie semble s'être arrêtée avec elle...
En effet, les deux derniers enfants du couple Guillaume VALLETON sieur de la Tissanderie et d'Elisabeth BROUWERS étaient morts en bas âge et il n'y avait pas eu de descendance de ce côté là :
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Marie (née le 02/09/1781) mourut à 7 ans à la Tissanderie le 20 novembre 1788.
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Jean (né le 08/09/1782) meurt le 1 décembre 1788 à l'âge de 6 ans. Cette disparition prématurée de jeunes enfants suggère une maladie contagieuse présente à cette époque à la Tissanderie.
Après les Valleton, à qui revint la Tissanderie? Les recensements de Liorac donnent quelques pistes mais peu de certitudes. Les matrices cadastrales viennent un peu à la rescousse, mais il faudrait les actes notariés pour connaître le type de transmission de la propriété, (vente ou héritage?).
Recensement de 1846 : Anne Marie Leymarie Lajarthe est toujours propriétaire. Elle vit avec sa fille de 6 ans à la Tissanderie. Selon la matrice cadastrale, elle reste propriétaire jusqu'en 1862.
Recensement de 1856 : on trouve Ferreol CUINAT médecin-chirurgien marié à Marie Désirée MIRABEL. Il habitait la Tissanderie, mais n'était pas propriétaire .
En 1862, Marc SANTRAN devient propriétaire.
Recensement 1866 : Marie SANTRAN a épousé Jacques LOUBIAT, propriétaire au Turmendy. Ils habitent la Tissanderie avec quatre enfants.
Recensement 1872 : idem
En 1885, Gustave MESCLOP, fils de Zaccharie et Suzanne Valleton de Garraube, propriétaire des Merles, devient propriétaire de la Tissanderie.
Ensuite, en 1912, Pierre ROUSSET époux Desplat et leur fils Jean ROUSSET époux Borderie sont propriétaires en indivision de la Tissanderie. Et en 1913, Jean ROUSSET reste seul propriétaire.