Le testament de Jehan Mounediere (suite)

Les clauses profanes :
►  Le testateur nomme d'abord sa femme :
48  Marqueze Chavagnier sa chère femme de laquelle
49  il a reçu plusieurs bons et agréables services
Il lui donne sa maison, meubles, terres, le "blanc vin" (la vigne était donc alors cultivée à la Roche) et la moitié des fruits (revenus) sa vie durant, à condition qu'elle ne se remarie pas. Il lègue également à sa femme l'autre moitié des revenus, pour nourrir et entretenir ses enfants. Il déclare en effet "avoir deux enfants et une fille"!
74   nommés pierre jehan et Madalleine
75   mounediere ses enfants et de ladite Chavagnier
Ses enfants devront travailler pour payer tailles et rentes (les taxations dûes au seigneur). Les trois enfants étaient alors mineurs et leurs actes de mariage nous apprennent leur âge : Pierre avait environ 14 ans, Jehan 11 ans et Madallaine était la plus jeune et avait moins de 10 ans.

►  Il constitue ensuite de façon très précise la dot de sa fille : la somme de 120 livres, 20 livres payables le jour de ses noces et ensuite 20 livres tous les ans. Cette somme de 120 livres correspondait à 10 ans d'imposition de la taille payée par Jehan Mounediere et constituait donc une coquette somme ! Viennent ensuite des biens meubles et on peut admirer la précision de la description des legs. On y trouve des étoffes et de la vaisselle, objets "classiques" dans les dots : deux linceuils de boiradis, c'est à dire des draps utilisés pour envelopper les morts, une nappe faite en ouvrage, c'est à dire brodée à la main, des assiettes en étain...
Au XVIIe, les fils couramment disponibles pour le tissage des étoffes, étaient le lin, le chanvre et la laine et le boiradis était un tissu fait de laine et de chanvre.
Plus original est le legs de deux robes blanches avec des manches "garnies". A cette époque, les tonalités sombres et les tissus solides dominent le vêtement dans les campagnes. Chez les femmes de la noblesse, les coloris sont variés et les tissus plus légers, souvent de soie : ainsi la qualité du vêtement ainsi que sa couleur devaient traduire une hiérarchisation sociale. Les robes blanches à manches garnies (de dentelles ?) étaient certainement, dans l'esprit de Jehan Mounediere, un signe de réussite sociale pour sa fille, des robes de "demoiselle" ...
77  ledit testateur donne et lègue la somme de
78  cent vingt livres payables savoir le jour qu'elle
79  se mariera la somme de vingt livres et ... an
80  par an jusques à final paiement
81  plus lui donne et lègue deux robes blanches
82  garnies chacune en ses manches et outre plus
83  lui donne et lègue deux linceuls de boiradis un
84  plat, une écuelle et trois assiettes étain payables
85  lesdits ameublements et une des robes le jour des noces
86  comme aussi lui donne et lègue deux serviettes et
87  une nappe faite en ouvrage payable aussi ledit jour
88  des noces et ladite robe dans un an après
►  Il désigne ensuite à égalité ses deux fils comme héritiers universels et ne donne donc pas de privilège à l'aîné. Les garçons auront pour charge de payer chacun par moitié la dot de leur soeur.
91  .... ledit testateur a fait et de
92  sa propre bouche nommé ses héritiers universels
93  savoir est ledit Pierre et Jehan Mounédière ses
94  enfants chacun par moitié ...

►  Suivent ensuite une série de substitutions dans l'éventualité du décès de l'un ou l'autre des héritiers, rien n'est oublié et tous les cas sont prévus : si Madalleine décède sans héritier, substitution des biens au profit de ses deux frères et de sa mère. Si au contraire les deux garçons mourraient sans héritier, les biens reviendraient à Madalleine. Et enfin, dans le cas du décès de tous les enfants sans héritiers il substitue sa femme Marqueze Chavagnier.

►  Le testament se termine par la mention "sous le scel royal" et par l'énumération des témoins, tous habitant le village de la Roche. Sept témoins semble un nombre important, sans doute tous les voisins de Jehan Mounediere qui venaient l'accompagner et lui témoigner leur amitié. Deux "Valleton" ont signé avec le notaire Babut.

119 ai concédé sous le scel royal, ès présence de Anthoine Lapair
120 fils à feu Thoni natif du village de Camberou,
121 Jehan Meyral natif du village de Peuchaguillou
122 juridiction de Boisse, Pierre Desplats dit Mestre,
123 Burgou et Tienne Valleton père et fils, Tantou Nirolle
124 laboureur et Mathieu Valleton Sr de Fonzelles
125 habitants dudit village pour le présent, témoins connus
126 lesquels sieur Fonzelles et Thienne Valleton ont
127 signé et non ledit testateur ni autres témoins pour ne
128 savoir de ce enquis et moi.
Que sont-ils devenus ?
► Madalleine s'est mariée la première en février 1668 à Liorac, avec un laboureur de la paroisse de Saint-Marcel, Guillaume Artigou. Elle avait "21 ans ou environ" et donc n'avait pas 10 ans lors du testament de son père. Elle a donc dû recevoir à cette occasion sa robe blanche aux manches garnies, ce qui n'a pas du poser de problèmes étant donné le métier de ses deux frères, l'un d'eux était en effet tisserand et l'autre maître tailleur ! L'année suivante, un fils est né à Saint-Marcel et la grand mère Marqueze Chavagnier fut marraine.

► Pierre s'est marié quelques mois plus tard, en août 1668, lui aussi à Liorac, avec Marguerite Bouyssiere, la fille d'un maître tailleur de St Aubin de Lanquais. Il habitait toujours à la Roche avec sa mère. Il était tisserand et avait 26 ans et donc environ 14 ans en 1656. C'était l'aîné des trois enfants. Son frère Jean qui était déjà "maître tailleur" fut témoin à son mariage.

► Jean s'est marié à Liorac en 1670 avec une fille de la paroisse de Cause, Catherine Javerzac, qui n'avait que 15 ans. Agé alors de 25 ans, il avait donc environ 11 ans en 1656 au moment du testament de son père. Il habitait toujours à la Roche avec sa mère Marqueze Chavanier et il était devenu "maître tailleur". Il fallait à l'époque trois ans d'apprentissage pour devenir "compagnon" et ensuite 3 autres années pour être reçu "maître tailleur". Sa mère l'avait donc certainement placé en apprentissage vers 15 ans, après le décès de son père. Son beau frère Guillaume Artigou et son frère Pierre furent témoins à son mariage (en 1670, Pierre était installé tisserand au bourg de St Avit Sénieur)

Marqueze Chavagnier a survécu de longues années à son mari, elle est restée à la Roche et y est décédée en 1680.

Jehan Mounediere, le testateur, est certainement mort assez vite après avoir dicté ce testament, en tous cas avant 1668 : la perte des registres paroissiaux empêche de préciser la date de son décès. Curieusement dans ce testament, le métier de Jehan Mounediere n'est pas mentionné. La seule information sur le sujet se trouve beaucoup plus tard, en 1668, sur l'acte de mariage de sa fille "Madalaine": le curé Pourquery note qu'il était travailleur à bras.

Un travailleur à bras labourait à la main avec des outils, sans l'aide d'une charrue tirée par des animaux. Cette activité était-elle suffisante pour placer Jehan Mounediere parmi les habitants aisés de Liorac ? Pratiquait-il, en plus du travail de la terre, un autre métier plus rémunérateur ? peut être tisserand ? on ne connaîtra sans doute jamais la réponse ...

@ Marie-France Castang-Coutou
Contact: postmaster*liorac.info (remplacer l'étoile par @)