Fulbert-Dumonteil,
Périgourdin, chroniqueur gastronomique



Toutefois, malgré des centres d'intérêt aussi variés que ceux que nous venons d'évoquer, son domaine le plus connu et où il fut particulièrement apprécié fut celui de la cuisine : il fut un gourmet, et un chroniqueur gastronomique connu et reconnu. Ses récits évoquent avec beaucoup de gourmandise les recettes "incontournables" de la gastronomie française que l'on trouvait à l'époque tous les jours sur les tables de la bourgeoisie. Il habitait Paris et était un habitué des grandes tables de la capitale. Mais cela ne lui a pas fait oublier les recettes de son Périgord natal et il évoque souvent des produits classiques du terroir périgourdin volailles, gibier et truffes...
La carte ci-dessous est extraite de la carte gastronomique de la France de A. Bourguignon publiée en 1929. Ce zoom sur le Périgord montre la richesse de sa gastronomie, chantée avec beaucoup de talent par Jean Camille Fulbert DUMONTEIL.
Les Truffes dont il fait une consommation qui surprend selon les usages actuels.
Rappelons que la production de truffes en Périgord s'est effondrée depuis la première guerre mondiale, époque où les truffières ont été envahies par la forêt (150 tonnes par an avant la guerre de 14-18 et à peine 3 tonnes à l'heure actuelle). Ainsi maintenant on se contente de quelques grammes de truffe dans une recette alors que Fulbert-Dumonteil n'hésitait pas à en mettre un kilogramme pour farcir une volaille !

Ecoutons le parler de la Truffe (avec un "grand T") dans l'Almanach gourmand de 1904 :
"Tu es la gemme sans rivale, plus précieuse que les topazes et les émeraudes. Brillat-Savarin t'a nommée le Diamant de la Cuisine, je t'appellerai, moi, la Perle noire du Périgord."
Ce serait humilier la belle Truffe noire et parfumée du Périgord que de la comparer aux truffes inférieures des autres départements, même aux Truffes justement renommées du Dauphiné. Grâce à son sol particulièrement favorable, la Truffe du Périgord est la première Truffe du Monde. Savignac-les-Eglises, Sarlat, Cubzac, Mareuil, Coulaures, Sorges, Montignac, produisent les meilleures Truffes de la Dordogne.
Il serait ingrat de la part d'un gourmet et d'un périgourdin d'oublier ici l'intelligent animal qui excelle à découvrir la Truffe du Périgord : Le porc ! Et d'abord, il ne fouille jamais que les truffes mûres, respectant les autres. C'est vraiment curieux de le voir prendre le vent, aller et venir d'un pas triomphant, interroger l'horizon, appliquer son groin sur le sol qu'il flaire bruyamment et qu'il soulève avec ardeur, projeter vivement la terre et les pierres, creuser un trou où repose la truffe... Devant la truffe, l'animal bien dressé recule et s'arrête, regardant son maitre, attendant les fèves et les glands, sa juste récompense. Alors armé d'un pieu, le truffier extrait le précieux tubercule et le porc reprend ses fécondes recherches.
 
Fulbert-Dumonteil écrivit régulièrement dans plusieurs revues ou ouvrages de cuisine :
La Cuisine des familles qui selon la publicité, était "essentiellement rédigée par des maîtres cuisiniers français, ne donnait que des recettes de cuisine bourgeoise clairement expliquées, faciles à exécuter, accompagnées de renseignements indispensables aux maîtresses de maison désirant se perfectionner".

l’Art culinaire Voici un exemple de sa prose précise et imagée dans l'évocation des écrevisses. On y retrouve son intérêt pour l'histoire naturelle mais à la fin de son texte le gourmet réapparait !
LES ÉCREVISSES (l'Académie culinaire : Journal encyclopédique de l'Académie de cuisine de Paris -16 janvier 1886) disponible sur gallica à l'adresse suivante : ICI
A ce seul mot d'écrevisse, l'eau vient à la bouche du gourmet /.../ La délicieuse écrevisse, cette volupté gourmande et ce plat d'amour, est une merveille de la création, un tour de force du bon Dieu. /../ Donc, l'écrevisse vient au monde toute petite, enveloppée dans une carapace qui, privée de toute élasticité, ne saurait se plier aux besoins de sa croissance. Faut-il qu'elle étouffe et qu'elle crève dans ce bouclier trop étroit? Non, l'écrevisse ne doit pas mourir. Dieu veut qu'elle vive pour le plaisir de la bouche et la gloire de Brébant.
En grandissant, l'écrevisse va tout bonnement changer de robe, troquer sa petite défroque d'enfant contre un beau vêtement de jeune fille. Il est vrai que cette toilette n'est pas un amusement frivole, mais une grave affaire.
Un jour, l'écrevisse se dit : « Il me semble que mon habit est un peu court et je sens qu'il me gêne à la taille ; j'ai l'air de porter la robe d'une petite sœur. Changeons de toilette.» Et alors elle se couche sur le dos, agite sa queue, frotte ses pinces, secoue sa tête, balance ses antennes, se trémousse, se débat, se gonfle, et se gonfle encore. Sous ses efforts répétés avec autant de prudence que de mesure, le dessous de la carapace se fend, se déchire comme un vêtement trop étroit et, peu à peu, tout doucement, avec une adresse étonnante, l'écrevisse dégage sa tête, ses yeux, son abdomen, ses pattes, ses pinces, sa queue !/.../

L'écrevisse, ce crustacé des eaux douces, est une miniature du homard. /.../ Très délicate en buissons, délicieuse à la Nantua, exquise à la persane, savoureuse en matelotte, apéritive et joyeuse à la béarnaise, rustique et pittoresque à la berrichonne, excitante à la bisque, l'écrevisse excelle surtout à la bordelaise. La vieille Aquitaine est plus fière peut-être de ses écrevisses que de Montesquieu et de Montaigne.
L'écrevisse est un plat charmant, surtout quand la pourpre de sa robe se détache sur l'émeraude du persil. /.../ elle rehausse à merveille les poulets à la Marengo et fait une couronne rouge à l'or des vol-au-vent. FULBERT-DUMONTEIL.

Mais il put surtout faire montre de son talent d’écrivain gastronomique dans deux ouvrages : La France gourmande (1906), chef-d’œuvre de gastronomie, qui lui valut de la part des cuisiniers le titre de "Maître à goûter"

l’Art du bien manger, fins et joyeux croquis gastronomiques écrits pour les gourmets (1901), ouvrage disponible sur gallica ICI.
En voici de courts extraits, pleins de poésie et de gourmandise :
LA GRIVE : Je chante la grive à l'aile grise qui se grise dans les vignes du grain lisse des raisins. C'est son droit. Après avoir absorbé je ne sais combien d'insectes ravageurs, fléau de la vigne, n'est-il pas naturel que la grive se désaltère de quelques grains, à moins qu'elle n'étouffe ? Comme l'alouette est l'oiseau des champs, la grive est l'oiseau des vignes. L'une veille sur la grappe, l'autre sur l'épi. Grassouillette et dodue, nourrie de genièvre et de raisin, la grive est un gibier parfait, un rôti tendre et parfumé, de haute succulence./.../La grive de Sarlat que le genièvre parfume est un mets délicieux. Ajoutez un peu de truffe et vous aurez la rose des festins. La grive se suffit, dédaignant les sauces variées et les apprêts savants. Son sceptre c'est la broche, il faut qu'elle soit tendre et grasse, finement bardée de lard choisi, simplement arrosée avec du beurre /.../ Deux ou trois minutes avant de servir la grive sur la croûte embaumée, veuillez la saupoudrer légèrement de grains de genièvre pulvérisés, mélés de panure sèche et fine. Une goutte d'Alicante, j'y tiens ! On débroche et on sert. Ce n'est plus un rôti, c'est un parfum. Voilà comment on traite la grive à l'aile grise qui se grise dans les vignes des grains lisses du raisin. La grive des côteaux bordelais m'est particulièrement sympathique. C'est la reine des grives et je ne connais pas de vin dont l'arôme s'harmonise mieux avec la succulence de sa chair qu'une vieille bouteille de Saint-Emilion.
LE FAISAN : est toujours lui-même, un régal, une merveille, un idéal : Le faisan ! A vrai dire, il se surpasse « à la Périgueux ». Tenez, le jus m'en vient à la bouche : Choisissez, s'il vous plaît, un jeune faisan, mortifié sans excès ; remplissez l'estomac d'une belle farce à gratin de foie avec des truffes sarladaises, cuites au Champagne et coupées en dés mignons. Bridez ensuite le faisan avec les pattes mollement rentrées, masquez l'estomac rondelet comme un sein de quinze ans avec un joli mirepoix parfumé d'aromates que l'on soutiendra avec une feuille de papier soigneusement beurré. A bon feu, le faisan rôtira soixante minutes, bien arrosé. On le débroche, on le déballe, on le dresse sur un plat, masqué par une fine sauce Périgueux. Pas un mot, de grâce ! Ce rôti délectable se savoure en silence, dans une sorte de béatitude recueillie...
Ô Périgueux ! Ville charmante et chère que la truffe embaume, sur tes belles promenades se profilent les statues de tes illustres enfants : Montaigne, la Sagesse ; Fénelon, la Charité ; Daumesnil, le patriotisme ; Bugeaud, la valeur guerrière. Tu as le droit, douce cité, d'être fière de tes grands hommes aux noms immortels. Mais ce n'est point là toute ta gloire. Comment louer assez tes sauces incomparables qui parfument de leurs senteurs enivrantes les quatre coins du monde civilisé !
LE PERDREAU : A tout seigneur tout honneur, voici le perdreau. On ne le loue pas, on le savoure ; on ne le prône pas, on le truffe ! Saine et légère entre toutes, sa chair est délicieuse. Son aile surtout, son aile incomparable, est douce aux convalescents et chère aux gourmets. Le perdreau ennoblit toutes les sauces. Exquis à la périgourdine, à l'estouffade, à la Grimod, à la Cussy, il excelle à la Martignac.
LA PINTADE : La pintade n'est, dit-on, que la doublure du faisan. C'est une injure. Sa chair est douée d'un goût parfaitement original. Dans nos festins comme dans nos basses-cours, la pintade occupe une place indépendante. C'est le gibier des élables. Et pourtant sa domestication semble encore imparfaite. C'est à peine si le grain abondant et choisi des auges a conquis ce farouche oiseau à la civilisation. Voici plus de vingt siècles que son caractère capricieux résiste à nos prévenances, comme si son regard oblique et fin voyait briller la broche à rôtir...
La broche, en effet, est son triomphe et son sort. La pintade est née pour être rôtie comme le canard est destiné aux navets et la perdrix aux choux. Elle doit être jeune et tendre, finement piquée ou bardée et rôtie à feu vif. On l'arrose largement avec du beurre très frais. C'est une bonne action quand on peut la bourrer de truffes.
LE PIED DE COCHON : A la Sainte-Menehould, le pied de cochon est délicieux ; farci de blancs de volailles et de truffes noires, il est parfait. Dans le premier cas, on choisit un beau pied de cochon que l'on fend en deux dans toute sa longueur, puis on attache ces deux moitiés, qui cuiront comme un seul pied dans une excellente braise, composée de bouillon et de vin blanc, sel, poivre, laurier, oignons piqués de girofle. Refroidis, on les passe vivement au beurre de Gournay pour les fair griller lentement, jusqu'à ce qu'ils prennent une jolie couleur de vieil or.
Quant au pied truffé, il se désosse, comme on sait, pour faire place à un salpicon de blancs de volaille et de truffes choisies. Entouré d'une fine crépine qui lui fait comme un voile de dentelle, le pied se gonfle et se dore sur le gril, au contact discret d'un feu léger.
LE CHOU FARCI : il se rencontre des plats excellents que l'on peut s'offrir sans être millionnaire, ce qui est fort heureux pour de simples journalistes. Tel est le chou farci. Ecoutez-moi : Quand votre chou, un beau chou, est à moitié cuit, on le tire délicatement de la marmite pour l'égoutter sur une planchette propre comme un écu. Puis on le déplie tout doucement, feuille par feuille. C'était une coupole, c'est une rosace. Dans une assiette attend une farce onctueuse, composée de chair à saucisses, de foies de volailles et de mie de pain, le tout savamment relevé d'épices choisies et lié de jaunes d'œuf. Une bonne farce ! Alors avec soin, avec lenteur, on tapisse chaque feuille de cette farce également épandue ; puis, d'une main légère, presque caressante, on ramène et on presse ces feuilles ainsi parées sur le cœur du chou bourré de foies de volailles finement hachés. Votre dôme reparaît. Le chou est reconstitué. On le ficelle avec élégance pour le poser mollement dans une ample casserole où murmure un roux léger. On piquera, s'il vous plaît, maître chou de trois ou quatre clous de girofle et feu par-dessous, feu par-dessus, cuisson lente et sage, doucement rythmée. Au moment de servir, semez quelques câpres sur votre sauce d'or et gardez-vous bien d'oublier le petit verre de fine Champagne aimé du chou farci. J'attends vos compliments.
LES FONDS D'ARTICHAUT : absolument délectables à la Milanaise, artistement gratinés, saupoudrés de vrai parmesan, agrémentés d'un hachis de lard fin et de truffes blanches d'Italie, baignant enfin avec volupté dans une éclatante purée de pommes d'amour!
L'OIGNON : à la Bordelaise : vous voudrez bien choisir de beaux oignons d'Aquitaine, larges et plats, dont vous creuserez délicatement le centre ; dans cette cavité, vous glisserez un hachis de foies de volailles et de truffes choisies. Ces oignons, légèrement dorés par le beurre, seront posés dans un roux très clair et, feu par-dessus, feu par-dessous, cuiront avec une dévote lenteur : à peine un frémissement, un sourire dans la cocotte embaumée. Au moment de servir, il convient de réjouir la sauce fumante et légère d'un verre de fine Champagne et de quelques grains de muscade. C'est tout, mais quand vous aurez goûté, vous trouverez que c'est quelque chose.
L'OMELETTE : Je ne connais pas d'apéritif comparable à une fine et légère omelette : on la voit, on la sent, on la goûte, on a faim ! Simple, c'est une improvisation ; recherchée, c'est un art. C'est une ressource précieuse autant qu'un régal varié. On compte plus de cent façons d'accommoder les œufs sorties comme un bouquet gigantesque de l'imagination des cuisiniers. Ne pouvant vous les servir, je vous prie de me permettre un choix qui ne sera pas sans charme. /.../ L'omelette au homard me sourit et l'omelette aux rognons, aimée de Chateaubriand, me tente. Les omelettes au fromage, aux oignons, aux pommes, à la Lyonnaise, à la frangipane, à la jardinière, aux huîtres, aux morilles, au thon, aux escargots, n'ont à vrai dire rien de déplaisant. Je rends justice aux omelettes aux queues de crevettes, à la paysanne, à la provençale, aux champignons, à l'oseille, même aux épinards ! Délicieuses les omelettes aux tomates ou pommes d'amour, aux asperges, aux haricots verts, aux pointes de houblon, à la moelle, à la Soubise et surtout aux cœurs d'artichaut! La rustique omelette que la ciboulette et le persil parfument, charme mes goûts villageois, et je me sens tout réjoui à la vue des flammes azurées qui serpentent autour de l'omelette au rhum.



Fulbert Dumonteil mourut à Neuilly en 1912 à 81 ans, loin de son Périgord qui l'avait toujours accompagné ...dans l'assiette ! Il semble même étonnant qu'avec un tel régime, il ait vécu si longtemps !
HOMMAGES POSTHUMES
► Eloge funèbre du journaliste et homme de lettres Maurice Dancourt :
Fulbert Dumonteil s'apparentait à cette école du journalisme pour laquelle le journal est, surtout, un moyen littéraire. Tout ce qu'il a écrit, il l'a voulu, pensé, buriné avec art, et signé. /.../ les proses exquises de Fulbert-Dumonteil ne vieillissent pas, ne peuvent vieillir. Et l'on se demande alors, comment il se fait que Fulbert-Dumonteil ait accumulé cinquante années de labeur tel, sans les honneurs ou les hommages que semble naturellement appeler une indiscutable maîtrise. La raison en est assez simple, Fulbert-Dumonteil avait l'horreur du bruit et des vanités extérieures. Il a vécu presque toute sa modeste vie dévouée, dans sa petite chambre de Neuilly, sur la lisière du Bois, avec son cher Jardin d'Acclimatation pour promenade et sujet immédiat d'inspiration. Paris, qui le lisait, ne le voyait pas. Et l'on sait combien Paris est friand de la « présence réelle ». Il n'en avait pas moins ses fanatiques, et nous savons plus d'une catégorie de lecteurs qui l'adorent et le pleurent comme un irremplaçable Ami. D'autre part, Fulbert-Dumonteil ne demandait jamais rien, ce qui est une façon excellente de ne rien obtenir
► Plusieurs rues portent son nom à Périgueux et à Vergt.
► Ses amis de l'Association des Journalistes se cotisèrent pour offrir son buste au musée de Périgueux, saluant ainsi un collègue de talent qui avait été journaliste pendant 50 ans !
► Enfin, lors de la Félibrée qui se tint à Vergt, sa ville natale, le 7 juillet 1963, le Bournat fit apposer dans le hall de la mairie une plaque à sa mémoire :


@ Marie-France Castang-Coutou
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