La Louyre était autrefois un clair ruisseau qui faisait tourner les roues de 17 moulins, dont 3 à Liorac, et qui abritait une riche vie aquatique, aujourd'hui bien diminuée, sinon disparue.
Mon père me racontait qu'avant guerre, vers 1939, le soir, ils allaient poser des balances et pêcher les écrevisses à la lanterne sourde... c'était bien sûr interdit, mais il y a prescription !
Un témoignage plus récent venant de Ste Alvère : "J'ai très bien connu la Louyre, mais en amont, à Sainte Alvère, où je passais régulièrement mes vacances d'été dans les années 60 chez de vieux paysans d'un autre siècle. Le ruisseau, avec les bois, était mon principal domaine de jeu, et j'y péchais des écrevisses le jour, en jetant un oeil distrait aux vaches que j'étais sensé garder, et même des poissons, en particulier de beaux brochets, la nuit tombée, avec des cousins plus âgés. Mais ne le répétez pas, c'était déjà interdit !" (Merci à Mr. Martinot )

Il y avait donc des écrevisses dans la Louyre ! Cette "chasse", ce n'était presque plus une "pêche", se faisait à la main, en descendant pieds nus dans le ruisseau, soulevant les pierres : et les jours fastes, sous presque chaque pierre, il y avait une écrevisse. On pouvait aussi poser des balances bien à plat sur le fond de l'eau, avec un morceau de viande pour les appâter, et attendre patiemment ... Les écrevisses sont en effet des carnassiers. Elles s'attaquaient aux poissons et il y en avait dans la Louyre ! Je me souviens des ablettes et gardons que l'on y péchait l'été et qui finissaient en friture sur la table avec une salade !
Il y a bien longtemps, une autre métode était utilisée pour attraper les écrevisses, la pêche au fagot : le fagot était constitué d'une brassée de sarments de vigne attachés ensemble par une ficelle de lieuse, entre lesquels était inséré un morceau de viande. La technique était utilisée par les paysans qui, occupés la journée par leurs travaux, posaient le fagot le soir et venaient le récupérer le lendemain. Mais tout comme la pêche à la lumière, c'était du braconnage, même si cela restait destiné à la consommation familiale une fois de temps en temps, alors il fallait être discret et faire attention au garde-champêtre ! Mais les Périgourdins ont toujours adoré faire un pied de nez au gendarme !

A l'heure actuelle, suite aux périodes de sécheresse et à l'utilisation de l'eau pour les cultures, les écrevisses ne trouvent sans doute plus assez de nourriture dans la Louyre. Mais la raison essentielle de leur disparition est dûe avant tout à l'introduction au début du XXème siècle de nouvelles espèces, essentiellemnt d'Amérique du Nord et qui ont pris le pas sur les écrevisses autochtones.
Les rares qui ont survécu sont protégées, il s'agit de :
l'ÉCREVISSE À PATTES BLANCHES (Austrapotamobius pallipes), de couleur marron-gris avec de larges pinces volumineuses et
l'ÉCREVISSE À PATTES GRÊLES (Astacus leptodactylus) de couleur verdâtre avec des pinces longues et fines.

Par contre les espèces qui concurencent les autochtones sont déclarées nuisibles et doivent être détruites :
l'Écrevisse américaine (Orconectes limosus) de petite taille, de couleur brun rouge,
l'Écrevisse de Louisiane (Procambarus clarkii) rouge, de grande taille avec de fortes pinces assez fines et très puissantes,
l'Écrevisse de Californie (Pacifastacus lenuisculus) grosse écrevisse vert grisâtre, avec des pinces très volumineuses.
 

Les écrevisses se déplacent souvent à reculons. C'est cette particularité qu'utilise avec beaucoup d'humour le Docteur BOISSEL, dans une de ses "poésies patoises" : une femme vient consulter le médecin pour son mari qui a attrapé une maladie bien étrange, après une piqûre d'écrevisse. Rien n'y fait, ni l'eau de vie, l'huile d'olive, le sel ou les feuilles de marguerite, et depuis cet accident, le pauvre homme ... part à reculons ! Ce qui ne satisfait guère sa femme ... Il faut bien sûr savourer ce texte dans sa langue d'origine !
Une fissado d'escrovisso Dr Boissel, Lou Ser al Contou (publication 1936)
Anen! dintras, mo paouro fenno,
Ténès, ossitas vous oqui,
Et diga mé lo grando peino
Qué vous mèno tsal médéci.

Ah ! moussur, qué sei molhurouso !
Moun paour hommé vet d'ottropa
Uno moloudio bien curiouso;
Et nous sabi pas qué li fa !

Sans prenné gardo qué co fisso,
Onguet, en déoùs pétits fiolats,
Ottropa dé los escrovissos,
Dins lou riou qué passo péous prats.

Déguet fa qualquo malodresso
Et sobès pas ço qu'orrivait :
un'escrovisso, lo bougresso,
O lo mo dresto, lou fissait.
Y ai mettut dé l'aiguo dé vito,
dé l'oulivo, maï de lo sal,
Dé loï feillos dé marguorito
Co vaï dé pus en pus mal !!

Per mé fa veiré lo fissado
Ména lou, diguet lou doctur,
Et foraî fa uno poumado
Qué lou guoriro, dé ségur.

Vendrio bé prou, lou paouré bougré
Mai pot pas quitta lo méioù :
Toléoù qué commenço de courré
veî lou portit dé rétioulou !

... D'un peî qué lo salo bestiolo
l'o fissa, n'aï pas dé boun ten...
Un hommé qué totsours rétiolo,
Sé crésés qué coï omusen !!!

Dans tous les livres de cuisine du Périgord, on trouve des recettes pour préparer les écrevisses :
à faire avec des américaines !
Pour préparer les écrevisses vivantes, vous commencez par retirer la nageoire caudale qui entraîne, comme chacun sait le petit boyau amer, ce qui suffit à les vider. Vous lavez ensuite les crustacés et vous ne les faites pas cuire forcément au court-bouillon comme il est d'usage invariable. Vous faites donc la sauce suivante : dans une casserole vous mettez deux cuillerées de bonne huile de noix ou d'olive! Vous y jetez les écrevisses. Vous arrosez avec deux verres au moins d'excellent vin blanc, renforcé d'un verre à liqueur de bon cognac. Mettez-y le feu et éteignez à la flamme décroissante. Ajoutez trois ou quatre tomates épépinées si c'est la saison, ou un peu de conserve de tomates. Faites cuire à feu vif en remuant souvent le mélange. D'un autre côté, vous avez préparé la petite sauce suivante : vous épluchez quelques légumes, carottes, oignon et céleri que vous coupez en petits morceaux. Vous les faites revenir dans un peu d'huile, vous ajoutez deux gousses d'ail et deux ou trois échalotes ainsi que quelques aromates, poivre de cayenne. poudre de quatre épices, sel, thym et laurier. Vous ajoutez un verre de jus de cuisson des écrevisses, et vous faites cuire pendant une bonne heure. Ensuite, vous passez la sauce et vous la versez dans la casserole où se trouvent les écrevisses. Faites cuire encore un quart d'heure. Dressez en bon ordre les crustacés sur plat chauffé et verser tout autour la sauce rouge, agrémentée de touffes de persil frisé.
LA MAZILLE, La bonne cuisine du Périgord, 1929, Flammarion.
bon appétit !

@ Marie-France Castang-Coutou
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